Par Louis Nga Abena – louisngaabena@yahoo.fr
Le Garde des Sceaux, Laurent Esso, est loin d’être l’autorité qui respecte le plus les lois et règlements de la République. C’est en tout cas ce que Alphonse Iwou à Dang, la quarantaine sonnée, cherche à démontrer dans le conflit qui l’oppose au ministère de la Justice devant le Tribunal administratif de Yaoundé.
Révoqué du corps des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire le 7 janvier 2020 à la suite d’un arrêté signé par M. Esso, le ministre de la Justice, motif pris d’un «abandon de poste pendant 30 jours», l’homme en tenue trouve que cette décision qui le chasse de la Fonction publique est truffée de contre-vérités. Il sollicite d’ailleurs l’annulation de l’arrêté allégué parce qu’il serait entaché, selon lui, d’un excès de pouvoir. Ce litige a été examiné le 14 septembre dernier. Le verdict est attendu le 5 octobre prochain.
À travers son recours déroulé par le juge-rapporteur qui a préalablement analysé les arguments des parties, M. Iwou à Dang raconte, en effet, qu’il a intégré le corps des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire en 1997. Il a officié dans divers postes à travers le pays. Lorsque la décision le mettant à la porte est survenue, il affichait 23 ans de service au compteur et portait le grade d’intendant de prison.
Précisément, en juillet 2019, alors qu’il assurait des fonctions de chef de bureau à la délégation régionale de l’administration pénitentiaire de l’Adamaoua, il a été victime d’une maladie qui lui imposait une petite pause. Il a sollicité une permission de trois jours auprès de son supérieur hiérarchique direct pour se faire soigner. Son patron n’a pas fait droit à ladite demande.
Repos médical
En dépit du revers, M. Iwou à Dang affirme qu’il s’est fait consulter par un médecin. Ce dernier lui a prescrit un traitement qui nécessitait un repos médical. Par la suite, son médecin traitant avait prorogé ledit repos médical de 12 jours. Malgré son état de santé précaire, et nonobstant les prescriptions de son médecin, il s’efforçait d’assurer le service minimum dans son poste.
Cinq mois plus tard, exactement le 4 décembre 2019, il était notifié d’une demande d’explication l’invitant à justifier son «absentéisme notoire». En clair, on lui faisait le reproche «d’un abandon de poste pendant 25 jours». Des faits constatés, précisait le document, entre le 25 juillet et le 19 août de la même année.
En réaction à la demande d’explication, M. Iwou à Dang affirme qu’il a joint à sa réponse le certificat médical attestant de ce qu’il n’était pas en santé durant la période visée et les copies de la main-courante montrant qu’il «a effectué des incursions» dans son service. Rien n’y a fait. Trente-trois jours plus tard, le 7 janvier 2020, il était «révoqué d’office» de l’administration pénitentiaire à travers l’arrêté querellé. La décision indiquait que ses droits à pension lui seront remboursés.
Problème : M. Iwou à Dang estime que l’arrêté ministériel en cause non seulement dénature les faits à l’origine du procès, mais surtout n’a aucun «fondement légal». Il s’est appuyé sur les dispositions de l’article 164 du décret du 29 novembre 2010 portant statut spécial des fonctionnaires de l’administration pénitentiaire. «La révocation consiste à l’exclusion définitive d’un fonctionnaire fautif du corps de l’administration pénitentiaire. Elle peut intervenir : à la suite d’une procédure disciplinaire devant le conseil de discipline ; d’office en cas d’abandon de poste pendant 3o jours consécutifs après une mise en demeure restée sans effet […] Le fonctionnaire de l’administration pénitentiaire ne peut être à nouveau recruté dans le corps de l’administration pénitentiaire, sauf décision contraire du juge administratif», précise ce texte.
Pièces fabriquées
C’est un tout autre son de cloche que le représentant de l’Etat dans la procédure a fait entendre. Il a estimé que les pièces dont se prévaut le plaignant «ont été fabriquées pour les besoins de la cause». Selon lui, après le rejet de la demande de permission de trois jours, M. Iwou à Dang aurait dû se tourner vers «le ministre de la Justice pour bénéficier d’un repos médical» conformément aux dispositions des articles 37 et 38 du statut spécial déjà mentionné.
«Le fonctionnaire de l’administration pénitentiaire atteint d’une maladie, dûment constatée par un médecin pénitentiaire, ou à défaut par un médecin agréé par l’administration, le mettant dans l’impossibilité d’exercer ses fonctions est, de droit, mis en congé de maladie. Pour obtenir un congé de maladie, et éventuellement son renouvellement, le fonctionnaire doit adresser au ministre en charge de l’Administration pénitentiaire par voie hiérarchique, une demande appuyée d’un certificat médical délivré par le médecin traitant», indique l’article 37 évoqué. Le bénéficiaire d’un congé de maladie conserve l’intégralité de sa rémunération. L’article 38 alinéa précise : «Le congé de maladie est accordé jusqu’à concurrence de 30 jours d’office par le ministre en charge de l’administration pénitentiaire. Au-delà de 30 jours, […] après avis du Conseil National de la Santé».
En présentant son réquisitoire dans cette affaire, le ministère public a brièvement demandé au tribunal de débouter le plaignant prétendant que «les faits sont établis». Pendant sa plaidoirie, l’avocat de M. Iwou à Dang a répliqué en disant que même si on considère la demande d’explication adressée à son client comme une mise en demeure, le motif d’«abandon de poste pendant 30 jours» retenu par le ministre est en déphasage avec ladite demande d’explication qui parle plutôt d’un absentéisme de 25 jours.
Avant l’intervention des parties au procès, le juge-rapporteur a demandé au tribunal si la décision du Garde des Sceaux peut conserver sa légalité bien qu’étant en contradiction avec la mise en demeure. La réponse des juges est attendue.