Me Man Mayi Gervais Armel : Que devrait-on retenir de la problématique de la double nationalité à la lumière des éclairages du Pr Atemengue Jean Noël ?
Pr Guimdo Dongmo : Je vais être simple, je l’espère, et concis. Il convient de dire que le droit camerounais consacre explicitement une nationalité unique. « La double nationalité » ne l’est pas sauf dans le cas de la Camerounaise qui épouse un étranger en ce qu’elle peut conserver sa nationalité camerounaise. Pour le reste, cette «double nationalité» ne peut être que déduite du fait d’absence d’acte juridique constatant la perte de la nationalité camerounaise. En somme, c’est par le biais d’une «interprétation constructive» que l’on peut l’exercer et non l’avoir ! […]. Il faut donc bien distinguer l’énoncé de la loi de son interprétation ou sa signification par la méthode déductive, en l’absence d’un texte « constatatif » de la perte de nationalité, ce qui permet ou explique ainsi l’usage de la double nationalité.
Me Mang Mayi : que devrait-on retenir de la problématique de la citoyenneté, en prenant appui sur les explications du Dr Akameyong Blaise Dramane ?
Pr Guimdo Dongmo : La citoyenneté se déduit de la nationalité, sans se confondre à elle. La citoyenneté est un état impliquant des droits et des devoirs. L’enfant est peut-être le national de l’État sans être encore un citoyen. Le citoyen c’est l’homme concret situé et en situation, agissant dans un État déterminé, le national pouvant ne pas être dans son État. Mais, la différence entre les deux est de degré et non de nature ! […]. Vous voyez, par exemple que la Déclaration du 26 août 1789 est bien intitulée « Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen ». Il faut dire que l’on répugne souvent à utiliser le terme « national » ou nation compte tenu des dérives que son usage a engendrées à une époque. Et aussi qu’elle renvoie à l’idée d’un ensemble homogène sociologiquement. Ce qui est rare.
Me Mang Mayi : Peut-on dire que la loi de 1968 portant Code de la nationalité camerounaise tombe aujourd’hui en désuétude eu égard aux instruments internationaux ratifiés par le Cameroun ?
Pr Guimdo Dongmo : La désuétude résulte généralement de la non-application d’un texte sur une période relativement longue ou alors lorsqu’il existe mais est contraire à un autre plus récent et qui lui est supérieur. Il faut, dans ce cas, constater sa caducité (c’est de la compétence des autorités étatiques). Pour ce qui est de la loi de 1968, il faut constater qu’elle est appliquée, peut-être pas dans son entièreté. Les certificats de nationalité, par exemple, sont établis et délivrés sur la base de cette loi. Le problème qu’elle est liée à l’application de la disposition relative à la perte de la nationalité. Ici, on voit bien que les autorités compétentes sont inactives ou relativement. Ceci démontre la délicatesse de la question. C’est un peu comme la peine de mort contenue dans notre Code pénal, dont l’application est presque suspendue depuis plus d’une décennie. Désuétude ? Peut-être pas. Tout devient question d’opportunités…D’ailleurs l’on vient d’assister au prononcé de cette peine par un tribunal camerounais, mais reste son application…
Me Mang Mayi : Que prévoient les instruments internationaux relativement à la problématique de la protection de la nationalité ?
Pr Guimdo Dongmo : J’y ai déjà répondu. La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (Dudh), le Pacte international relatif aux Droits civils et politiques (Pidcp) notamment, reconnaissent le droit de toute personne à une nationalité. La Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (Cadhp) est silencieuse sur cette question (La Commission et la Cour africaines ont compétence pour combler cette absence par l’interprétation). Ces textes affirment que personne ne peut se voir retirer arbitrairement sa nationalité. C’est dire qu’elle est protégée. Il faut, par conséquent, en cas de perte arbitraire, saisir les instances nationales (principe de subsidiarité et épuisement des voies de recours internes) et en cas d’insatisfaction, et dans les délais, saisir l’instance internationale compétente, en l’espèce, le Comité des Droits de l’Homme des Nations unies.
Me Mang Mayi : En cas de conflits de lois, entre la loi sportive, les instruments internationaux et la loi interne sur la nationalité camerounaise, qu’est-ce qui prime ?
Pr Guimdo Dongmo : Il suffit de lire les articles 26 et 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités du 23 juin 1969 et l’article 45 de notre Constitution pour comprendre que les traités et accords internationaux priment sur la loi interne en cas de conflit. Ici, c’est une question de primauté. Pour les lois sportives, cela dépend des accords existants entre l’État et l’organisation internationale de sport en question. En général, c’est sa «loi» qui prime, car elle est mondiale ou continentale. Mais, s’il s’agit d’une loi sportive interne, elle ne peut être qu’une loi spéciale par rapport à la loi sur la nationalité, qui est une loi générale. Ce faisant, elle y déroge si elle a des dispositions contraires sur cette question. Ici, c’est une question de dérogation et non de primauté.
Me Bissou : L’Espagne n’admet pas la double nationalité. Eto’o peut-il être binational ?
Pr Guimdo Dongmo : Dire «n’admet pas» est trop affirmatif. L’interdiction est-elle énoncée ou déduite ? Si elle ne consacre pas et que le Cameroun ne la consacre pas non plus, les instances compétentes saisies dans chacun de ces pays en tirent les conséquences selon les cas. Chaque pays est souverain pour exciper le défaut de nationalité ou sa perte par son ressortissant.
Me Wamba Makolè : Professeur, depuis l’ouverture de ce débat sur la nationalité des sportifs, pourquoi prend-on, comme référentiel réglementaire, les lois internes et autres instruments juridiques ? Modestement, mes lectures m’enseignent que la «lex sportiva» se caractérise par un principe juridique ayant trois composantes : autonomie-conformité-compatibilité à la norme de l’instance faîtière internationale de rattachement. Alors, dans le cas précis du football et de la nationalité d’un sportif footballeur, que disent les statuts de la Fifa, de la CAF, la jurisprudence du TAS et du Tribunal fédéral suisse ? J’ai peur, sauf meilleur avis, et je demanderai pardon puisqu’on apprend tous les jours, que nous ne soyons entrain de juger un litige sportif ou d’ordre sportif avec les instruments juridiques civils… Dans ce cas, il y aura, de la part de celui qui fait l’amalgame, violation des principes de l’autonomie et de la conformité à la «lex sportiva». Bien plus : en droit international du droit du sport, il n’y aucunement assimilation de la règle de la «lex sportiva» au droit international mais plutôt à un droit transnational que les instances faîtières appliquent. Professeur, c’est vous qui avez la science : qu’en est-il exactement ?
Pr Guimdo Dongmo : N’abordez-vous pas une autre problématique, concrète-là ? Je crois avoir, sur la question des rapports, indiqué que tout dépend des accords existants entre l’instance internationale du sport considérée et l’Etat et que les textes de cette instance étant universels ou continentaux, ceux de l’État n’étaient pas prioritaires en cas de conflit ! Pour le reste, vous engagez un débat complémentaire. Il faut donc lire attentivement les textes de la Fifa, de la CAF et la jurisprudence des instances sportives pour s’en faire une idée complète et concrète.
Réaction d’un membre du forum : la Fifa n’a aucune compétence en matière de nationalité et cette question relève strictement du droit interne.
Pr Guimdo Dongmo : Piste intéressante ! Les questions de nationalité relèvent en principe de la souveraineté des État dans le respect des traités et accords internationaux régulièrement ratifiés et publiés.
Maître Ngue Bong Simon-Pierre : est-ce le certificat de nationalité qui vous rend Camerounais ? Vous avez répondu « non », il n’est que la preuve que vous l’êtes et, cette preuve, vous n’en avez besoin qu’à un moment précis. Je pose la même question pour la perte de nationalité : est-ce un acte « constatatif » selon vous (à nommer) qui vous fait perdre la nationalité camerounaise ou vous l’avez perdue en acquérant volontairement une nationalité étrangère ? La réponse devrait être « non », en adoptant le même raisonnement que pour l’attribution de la nationalité. Et pourtant, vous n’aboutissez pas à la même…
Pr Guimdo Dongmo : Ah bon? Bien distinguer l’acquisition de la nationalité de la contestation de nationalité ou de sa perte. Pour l’acquisition, la loi dit : «est Camerounais», et énumère les cas, après avoir dit que la nationalité s’acquiert par l’effet de la loi ou d’une décision de l’autorité publique. Il y a là un mélange de droit naturel et de droit positif. Dès qu’on naît ou après on établit un acte de naissance qui contient des éléments de filiation. Je ne vois donc pas où est la contradiction. Le problème survient en cas de contestation de la nationalité ou de sa perte. D’où ces exigences de preuve et d’acte à produire.
Maître Ngue Bong Simon-Pierre : La loi a soumis l’attribution et la perte exactement au même régime, professeur ! Les deux se font soit par l’effet de la loi, soit par une décision d’une autorité publique ! Comment raisonner différemment alors que la loi ne le fait pas ?
Pr Guimdo Dongmo : La loi ne raisonne pas maître. Elle organise et nous l’interprétons de façon constructive en raisonnant. Ne pas confondre par « l’effet de la loi » et par la loi. Et dans tous les cas, en cas de problème, il faut un acte… juridique.