Le procès des six inspecteurs des impôts menacé de blocage

Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com On ne sait pas si le juge en charge du dossier opposant Vision 4 Télévision SA à six inspecteurs des impôts videra sa saisine avant longtemps. Alors que l’audition de toutes les parties s’est achevée le vendredi, 14 avril 2024, avec les témoignages des deux derniers cadres du fisc, la défense des mis en cause a introduit un élément qui complexifie le dossier. Par la voix de Maître Achet Nagnigni, les conseils des prévenus ont en effet soulevé une «exception préjudicielle de nature administrative» . Au regard du contenu des débats depuis leur ouverture mais aussi de l’ordonnance du juge d’instruction ayant sanctionné l’enquête judiciaire, l’avocat estime qu’il y a risque que le juge correctionnel chargé d’examiner le procès relatif notamment à l’infraction de concussion outrepasse sa compétence en touchant au fond du contentieux fiscal qui fait déjà l’objet de la saisine du Tribunal administratif du Centre par chacun des six inspecteurs des impôts poursuivis. Dès l’annonce de cette exception que Maître Achet a souhaité présenter avant les réquisitions du ministère public et les plaidoiries des avocats, étapes qui devaient normalement suivre la fin des témoignages, Maître Tchoungang et ses collègues constitués pour la défense des intérêts de Vision 4 Télévision SA s’y sont opposés. Ils estiment qu’il s’agit d’une question «tardive» ou «inopportune». Présumant que l’intervention de leur contradicteur pouvait bloquer la suite du procès, ils ont indiqué que le temps était passé pour que quelque nouvelle «exception» soit encore soulevée. Mais le parquet s’est éloigné de cette tentative d’obstruction, en expliquant qu’il était bon que, dans le souci d’un procès serein et équitable, toutes les parties aient la possibilité d’exposer les arguments en faveur des intérêts défendus. Il a requis pour que la parole soit donnée à Maître Achet Nagnigni. Ce que le juge a fait. Logique judiciaire L’avocat des inspecteurs des impôts a rappelé au juge que le procès se déroule sur la base du canevas tracé par le juge d’instruction dans l’ordonnance de renvoi rendue suite à la plainte de M. Amougou Bélinga. Et, dans la motivation, c’est-à-dire l’argumentation du juge d’instruction en faveur du renvoi en jugement des mis en cause pour l’infraction de concussion, ce dernier écrit ceci : «la suite de la procédure contentieuse a montré que ce montant continue à être revu à la baisse» . L’avocat a donc observé que «le dégrèvement constitue la trame de fond de la procédure notamment au sujet de l’infraction de concussion» . Or, a-t-il rappelé, «la phase contentieuse d’un contrôle fiscal a prévu que le contentieux peut se poursuivre devant le juge administratif» . En dehors du fait que cet argument prend appuie sur des faits postérieurs à la plainte de Vision 4 Télévision, ce qui serait une entorse à la logique judicaire, il est aussi coupable de se mêler au contentieux fiscal qui n’est pas encore vidé. En fait, la plainte avait été déposée le 28 mars 2022, avant la décision du Directeur général des impôts du 16 mai 2022, ayant décidé de ramener la dette fiscale de la télévision du Groupe l’Anecdote de 11,121 milliards de francs à 10,881 milliards de francs. La décision du ministre lui-même ramenant la dette fiscale de Vision 4 à presque 1,9 milliard de francs était intervenu le 6 août 2022. A signaler que les six inspecteurs des impôts en procès ont présenté la preuve de la saisine par chacun du juge administratif pour obtenir la réformation de l’arrêté du ministre des Finances qui avait accordé un cadeau fiscal de près de 9 milliards de francs à Vision 4 Télévision SA sur la base d’arguments qu’ils contestent fortement. A moins pour le juge correctionnel de diviser en deux l’ordonnance de renvoi pour ne rendre sa décision que sur la partie des faits déférés à sa sagacité et n’ayant aucun rapport avec le contentieux fiscal en cours, il est impossible, a soutenu Maître Achet, que ce juge ne préjudicie pas au contentieux fiscal, le juge d’instruction ayant soutenu que ses clients avaient réclamé «des impôts indus» à Vision 4 Télévision SA. Mais là ne s’arrêtent pas le mélange entre la procédure pénale et le contentieux fiscal, a poursuivi l’avocat. Pour démontrer son argument, il est revenu sur la propension de l’accusation à interroger ses clients, pendant leurs auditions successives, sur la façon dont s’était déroulé le contrôle fiscal à Vision 4 Télévision SA, ce qui serait de la compétence exclusive du juge administratif, juge du contentieux fiscal. Premier à prendre la parole parmi les avocats de M. Amougou Bélinga, Me Ndoumou a qualifié de «vaudou juridique» l’argumentaire de Me Achet demandant au Tribunal de première instance (TPI) de Yaoundé centre administratif (CA) de surseoir à sa saisine, en attendant que le juge administratif vide le contentieux fiscal. «Nulle juridiction n’est mieux placée que la juridiction pénale avec les moyens dont elle dispose pour investiguer» , a-t-il déclaré avant de suggérer au tribunal de rejeter l’exception préjudicielle soulevée. Cet avocat avait au préalable contesté de nouveau «le moment et l’opportunité de soulever les exceptions» , estimant que cela doit se faire «in limine litis» , c’est-à-dire avant tout débat au fond. Acte de gouvernement… Le bâtonnier Charles Tchoungang a emboîté le pas à son jeune confrère, estimant que les conseils des inspecteurs des impôts poursuivis avaient soulevé un «débat surréaliste à ce stade de la procédure» . Ayant tantôt suggéré que la décision du Minfi de dégrever la dette fiscale de 10,881 milliards de francs arrêtée par le Directeur général des impôts (DGI) était «un acte assimilable à un acte de gouvernement» , donc insusceptible d’être querellé, le vieil avocat s’est offert un rétropédalage spectaculaire en indiquant au juge que les parties ne sont pas là dans le débat de l’AMR de 11 milliards de francs. «Nous sommes là parce que le 17 mars 2022, quatre cadres d’une organisation publique ont reçu trois fois 5 millions de francs et 50 millions de francs à Vision 4 avec une promesse de 500 millions de francs», a-t-il rappelé, en insistant à l’attention du tribunal que «c’est la seule question à laquelle vous allez répondre» . Quelques minutes plus tôt, Maître Tchoungang venait d’interroger paradoxalement Mme Marguerite Edwige Ngono épouse Ngwem II, le dernier cadre du fisc à passer dans le box des témoins, sur le déroulement du contrôle fiscal à Vision 4. S’appuyant sur une circulaire du Directeur général des impôts, il estimait à travers ses réponses que les cadres du fisc en jugement s’étaient rendus coupables de harcèlement fiscal à l’endroit de son client, en se permettant plusieurs «interventions», voire des «chevauchements» dans ce que l’avocat considère comme une multitude des contrôles à Vision 4, en violation de ladite directive. «Il n’y a aucune limitation du nombre d’interventions. Il n’y a pas de chevauchements», a répliqué le témoin, estimant que l’avocat de M. Amougou Bélinga se trompait dans la compréhension du terme «intervention», tel qu’utilisé dans la circulaire du DGI. Le représentant du ministère public n’est pas en reste. Il a souvent reproché aux mis en cause le choix de la «procédure contradictoire» appliquée à Vision 4, par rapport à la «Taxation d’office», qui aurait été la plus indiquée, selon lui. Lorsqu’il a pris la parole à son tour, le représentant du parquet a estimé qu’il n’y avait aucune exception préjudicielle dans le problème posé par Me Achet. «J’ai cherché longuement et vainement l’exception préjudicielle», a dit le magistrat, qui a cru voir un «vent de panique» dans le camp de la défense avec la fin des auditions des mis en cause. Il a suggéré au juge de ne point se prononcer par un jugement avant dire droit, sans doute question d’éviter que la procédure soit exposée à un recours. Le président a décidé de se prononcer sur l’exception soulevée par la défense lors de la prochaine audience, le 28 avril 2023.

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