Malgré la décision des avocats de ne plus assurer la défense des intérêts des personnes poursuivies dans le cadre des affaires de la crise anglophone dans le but de contester les violations des droits de leurs clients, certains d’entre eux ont dérogé à cette règle. Ils ont repris le chemin des prétoires pour sauver, d’après eux, la liberté de nombreuses personnes détenues arbitrairement à la prison centrale de Yaoundé Kondengui. Au cours de leur sortie, Me Shim et deux de ses confrères ont plaidé la relaxe pure et simple de Jacob Lobte, Ntso Bayoog Eugène, Tayo Livite Kemoa, Bruno Wirba, Eugène Nyuyforan et Numfor Godlove Ngwa poursuivis devant le Tribunal militaire de Yaoundé (TMY) pour les faits d’actes de terrorisme, sécession, hostilité contre la patrie, révolution, insurrection, menaces sous condition et destruction en coaction. L’accusation reproche à ces personnes d’avoir distribué les tracts appelant les populations à la grève générale et brutalisé celles des personnes qui ne voulaient pas se conformer aux mots d’ordre de grève.
Arrêtés à Bamenda en février 2017, toutes ces personnes avaient été jugées et condamnées en avril 2018 à des peines de prison ferme allant de 10 à 13 ans par la juridiction militaire. Après cinq ans de détention à la prison centrale de Yaoundé-Kondengui, les six personnes clament toujours leur innocence dans cette affaire. Elles ont réitéré devant la Cour d’appel du Centre lors des audiences antérieures leurs déclarations faites au cours des débats devant le TMY. Ils estiment avoir été injustement condamnés sur la base de simples soupçons ou des dénonciations fantaisistes. C’est la raison pour laquelle, ils avaient saisi la Cour d’appel du Centre pour que celle-ci réexamine le dossier à la suite de «sévères condamnations» que leur avait infligées le Tribunal militaire de Yaoundé.
L’audience du 21 avril 2022 était consacrée aux réquisitions du commissaire du gouvernement (procureur de la République) et aux plaidoiries des avocats de la défense. Au cours d’une brève intervention, le représentant du parquet n’est plus revenu sur les faits, qui ont, dit-il, été amplement relatés au cours des débats. Il a partiellement reconduit les réquisitions de son collègue du Tribunal militaire avant de demander aux juges de la Cour de tenir compte du fait que la crise anglophone est dans la phase d’apaisement. Pour cela, il a requis les circonstances atténuantes en faveur des six condamnés.
Accusations absurdes
Pendant leurs plaidoiries, Me Shim et ses confrères ont enfoncé le clou du commissaire du gouvernement en demandant aux juges d’acquitter tout simplement leurs clients. «Il n’est pas question de parler dans cette affaire des circonstances atténuantes mais plutôt de la relaxe pure et simple des condamnés qui sont des innocents commerçants. Pour soutenir leur argumentaire, les avocats de la défense ont situé les faits dans le temps en rappelant les circonstances dans lesquelles, lesdits faits sont survenus. Ils expliquent que les interpellations de leurs clients ont eu lieu trois mois après le début de la grève corporatiste lancée par les avocats et les enseignants dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest. Il ne s’agissait pas à cette époque-là, disent-ils, des revendications sécessionnistes, qui ont eu pour conséquence, des tueries et autres exactions.
C’est ainsi qu’en dépit des mots d’ordre de «ville morte», c’est-à-dire, d’une grève généralisée à tous les secteurs d’activités, les cinq personnes condamnées avaient décidé de braver la grève et vaquer à leurs occupations habituelles. Elles seront alors interpellées par la police qui leur impute, aux dires de leurs avocats, les chefs d’accusation arbitraires. A titre d’exemple, il cite le cas de Numfor Godlove Ngwa accusé d’avoir chassé les élèves dans une école les empêchant de suivre les enseignements. Son avocat a dit que ces accusations sont invraisemblables étant donné que son client ne pouvait se permettre de telles activités en présence des responsables de l’établissement scolaire dont il s’agit.
De manière globale, les plaidoiries des avocats ont consisté à démontrer les faiblesses de l’accusation que les hommes en robes noires qualifient de grossière. «Pour des faits simples, l’accusation a abouti à des qualifications absurdes ayant conduit à des condamnations absurdes. Or, dans cette affaire, aucun accusé n’a été trouvé en possession, d’une arme, d’un tract. Aucun scellé n’a été présenté au tribunal, aucun témoin ou supposée victime n’est venu soutenir l’accusation devant la barre», a martelé Me Shim. Il a ajouté qu’il est impossible de parler de coaction alors même que les accusés étaient arrêtés dans des lieux différents et pour les faits qui n’ont pas de lien. Pour les avocats, on ne saurait parler de sécession, d’hostilité contre la patrie et de terroriste alors qu’il n’y avait pas à l’époque des faits, ni guerre ou belligérance dans les régions du Noso. C’est la raison pour laquelle, les avocats de la défense ont demandé aux juges de la Cour d’appel, qu’ils considèrent comme des sages, d’infirmer le jugement du TMY en déclarant les accusés non coupables des charges retenues à leur encontre. Et relaxer leurs clients pour faits non établis ou à défaut, au bénéfice du doute. Les six accusés seront fixés sur leur sort, le 16 juin 2022, date de la prochaine audience.