Le procès intenté à Jean Baptiste Nguini Effa, l’ancien directeur général (DG) de la Société camerounaise des Dépôts pétroliers (Scdp), et à ses anciens collaborateurs devant le Tribunal criminel spécial s’achemine progressivement vers son terme. Après de nombreux rebondissements d’une longue procédure judiciaire qui a duré plus de 13 ans, l’ancien DG de la Scdp poursuivi pour un présumé détournement des deniers publics de la somme de 2,2 milliards de francs, et les autres accusés ont fait, chacun, ses dernières déclarations à l’audience du 19 mai 2022. Après cette étape du procès, ils attendent désormais que le collège des juges en charge du dossier se prononce sur leur culpabilité ou non dans cette affaire.
Jean Baptiste Nguini Effa: «Les réquisitions finales sont truffées d’erreurs».
Ancien directeur général (DG) la Société camerounaise des Dépôts pétroliers (scdp) considéré comme l’accusé principal dans cette affaire, M. Nguini Effa a été le premier à prendre la parole. Il a remercié et félicité particulièrement Me Abah Oyono, avocat au barreau du Cameroun et ses confrères, commis d’office, pour le travail abattu et leur accompagnement déterminant pendant ce procès, alors qu’ils n’ont même pas perçu le ¼ de leurs honoraires. Il soutient que malgré la disette des avocats, ces derniers se sont évertués dans leurs plaidoiries, arguments à l’appui, de démontrer que l’accusation soutenue par le parquet n’a pas pu mettre en évidence les faits de détournement qui lui sont reprochés.
Il a ensuite décrié le fait que dans les réquisitions finales du ministère public, «il y a un décalage et une distorsion monumentale entre les débats» qui ont duré plus de cinq ans. Ces réquisitions finales comportent, dit-il, des erreurs, de doubles emplois et de confusions.
S’adressant au collège des juges chargés d’examiner son dossier, M. Nguini Effa a attiré leur attention sur le fait que le TCS constitue la base d’un pôle financier de la justice camerounaise. L’ancien DG déclare que les juges doivent tenir compte du fait qu’ils se prononcent sur les écritures comptables approuvées par les commissaires aux comptes conformément à la règlementation Ohada relative aux entreprises d’économie mixte. Et il demande au tribunal de constater que l’accusation n’a pas présenté un document certifié par l’Assemblée générale de la Scdp qui l’accable.
Dans la suite de son propos, l’ancien DG de la Scdp se pose la question de savoir le message que le TCS envoie à la communauté financière et comptable nationale et internationale et à tous les investisseurs quand le parquet de cette juridiction remet en cause la certification actée des comptes annuels des entreprises d’Etat ou d’économie mixte. «Comment peut-on remettre en question les quitus donnés aux administrateurs et aux directeurs généraux, les écritures comptables sans lesquelles une entreprise est inexistante?» Et d’ajouter que la Cour suprême dans son arrêt du 20 juin 2017 avait déjà rejeté le rapport d’expertise et certaines «pièces irrégulières» sur la base desquels les juges du Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri avaient, en octobre 2012, condamné M. Nguini Effa à 30 ans d’emprisonnement, entre autres. Avant que la haute juridiction n’annule cette décision pour cause de multiples violations de la loi constatées dans le jugement en ordonnant le réexamen de l’affaire devant le TCS en juin 2017. «A supposer que nous soyons condamnés pour une seconde fois pour les mêmes faits, qu’en serait-il? Je vous prie de nous rendre justice en nous renvoyant purement et simplement dans nos familles», a conclu M. Nguini Effa.
Jean Onana Adzi: «Je ne suis donc pas un voleur».
Le propos de Jean Onana Adzi, ancien directeur administratif et financier (DAF) était axé sur son cursus, sa carrière professionnelle et sa vie de famille. Après une formation à l’Essec de Douala, il est nanti d’un diplôme supérieur de commerce, option finances et comptabilité en 1987. C’est ainsi qu’il dit avoir entamé une riche carrière professionnelle comme auditeur junior dans un cabinet d’audit et d’expertise à Douala. Puis, il sera recruté à la Scdp comme chef comptable où il occupera de nombreux postes de responsabilité dont le plus élevé était la direction administrative et financière. Pour avoir rempli en toute conscience, honnêteté et intégrité toutes les missions que les organes dirigeants lui avaient confiées jusqu’à son interpellation le 26 août 2009, il dit n’avoir reçu aucune sanction de la part de sa hiérarchie. «Même les organes de contrôle, notamment le Conseil d’administration, l’Assemblée générale et les commissaires aux comptes n’ont rien eu à me reprocher pendant tout mon séjour à la Scdp. Le 4 mars 2009 le Conseil de discipline budgétaire et financier m’a blanchi», a-t-il confié.
Ce natif de l’arrondissement de Soa aux environs de Yaoundé dit avoir reçu une éducation inculquée par ses parents qui lui ont appris la justice, le travail, l’honnêteté et l’intégrité. «Je ne suis donc pas un voleur», a-t-il martelé. Il ajoute que son plus grand regret, c’est de n’avoir pas assisté à la maladie de sa chère épouse ou encore à ses obsèques malgré les multiples requêtes faites auprès des autorités compétentes. Il rend hommage à ses avocats et à ses enfants. «Malgré les sentiments qui m’animent, je fais confiance au tribunal et la justice camerounaise et je lui demande de prononcer ma libération pour que j’aille rejoindre mes orphelins», a conclu l’ancien DAF.
Jean Guye Makongo: «Je ne sollicite pas une clémence particulière»
L’expert financier, ancien directeur de la comptabilité, a dit qu’il traîne un bagage moral et une expérience professionnelle incontestables. Il a expliqué qu’il s’est battu pour maintenir la stabilité financière de la Scdp. Il souligne avoir démissionné de son poste dans le but de ne pas aller à l’encontre de sa profession et de combattre la gabegie. Jean Guye Makongo demande au collège des juges de rendre une décision qui épouse la déontologie de la profession de magistrat. «Il vous revient de regarder de manière objective la gestion de la Scdp qui a été faite pendant la période de référence, vous vous rendrez compte de mon innocence», a plaidé Jean Makongo. Il note que le tribunal peut y arriver non seulement pour laver son honneur mais aussi lui permettre la joie de retrouver sa famille. Et de reprendre s’il n’est pas trop tard ses activités laissées en abandon depuis son incarcération.
Marc Thierry Etoundi : «J’ai toujours fait mon travail»
Ce cadre financier de la Scdp a donné quelques précisions qu’il trouvait utiles pour la compréhension de cette affaire. D’abord, il note que le jugement du TGI de Douala avait fait l’objet d’un pourvoi à la Cour suprême qui l’a annulé. Et que «contrairement aux réquisitions finales du parquet, les documents fournis dans le dossier de procédure ont des numéros, porte une date et des signatures du DG de la Scdp ordonnant les paiements litigieux». Il signale, par ailleurs, que les éléments justificatifs de différentes dépenses joints au dossier de procédure ne le concernent pas, étant donné qu’il n’en est pas bénéficiaire. Il a reconnu avoir retiré les fonds de la banque et les pièces qui justifient leur utilisation n’ont jamais été contesté par les cosignataires desdits chèque. Il a dit avoir toujours fait son travail sous l’autorité de ses chefs hiérarchiques.
Kisito Cyr Toni Mifi Bogne Ondoua : «Je n’ai plus rien à dire…»
Employé dans les services financiers de l’entreprise de dépôts pétroliers, il est le seul qui comparaît libre. Il a été avare en déclarations. «Rendu à ce stade de la procédure judiciaire, je n’ai plus rien à dire. Je remercie le tribunal», a-t-il confié.
Kisito Cyr Toni Mifi Bogne Ondoua : «Une pensée pour Me Tchakouté Patie»
Il était le dernier à prendre la parole. Il en a profité pour adresser ses remerciements aux avocats qui l’ont soutenu pendant ce long procès. Il pense particulièrement au défunt bâtonnier de l’Ordre des avocats au barreau du Cameroun, le regretté Me Tchakounté Patie.
Rappelons que l’ancien directeur général (DG) de la Société camerounaise des Dépôts pétroliers (Scdp) est poursuivi devant le Tribunal criminel spécial pour un détournement supposé de la somme de 2,2 milliards de francs en compagnie de ses collaborateurs.