Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
M. Bela Belinga Isaac Joël, unique témoin de l’accusation et expert-comptable dont le rapport d’audit sert de base à la seconde procédure judiciaire diligentée contre M. Amadou Vamoulké devant le Tribunal criminel spécial (TCS), s’était-il laissé aller en 2017 à un faux en écriture pour savonner la planche à l’ancien DG de la Cameroun Radio Television (Crtv) ? Dans un communiqué qu’ils ont adressé à votre journal (lire Kalara N°389), les avocats de M. Vamoulké le laissent clairement entendre. Benjamin Chouai, Fabrice Epstein et Alice Nkom écrivent «qu’à l’occasion de l’audit des comptes de la Crtv, la société BBI a créé de toutes pièces un compte débiteur libellé au nom d’Amadou Vamoulké, à hauteur de 2.143.273.911 francs». Ils ajoutent que «cette ligne comptable fictive [avait] été créée dans le seul but de matérialiser (bien maladroitement) le prétendu détournement reproché à M. Vamoulké, ce en contravention avec les règles déontologiques les plus élémentaires de la profession d’expertise comptable».
Pour porter une telle accusation sur M. Bela Belinga, les conseils de M. Vamoulké s’appuient sur les écritures d’un autre expert-comptable. «Cette supercherie a été révélée par le cabinet d’audit Bekolo & Partners, qui a succédé à BBI après sa révocation à la demande du Conseil d’administration de la Crtv en juin 2018». Pour mémoire, BBI Advisory & Audit est l’entreprise de M. Bela Belinga. En analysant les comptes de la Crtv 2019, Bekolo & Partners fait un commentaire sur la rubrique «autres débiteurs divers» d’un montant global d’un peu plus 3,259 milliards de francs. Dans un extrait des comptes de la Crtv de l’exercice 2019 consultés par Kalara, Bekolo & Partners souligne que la rubrique en question «intègre un compte intitulé Amadou Vamoulké d’un solde débiteur de Fcfa 2.143.273.911 depuis le 31 décembre 2017. Cette créance a été créée en 2017 par BBI».
Cette nouvelle révélation ne vient pas redorer le blason déjà bien terni de M. Bela Belinga, lui dont le contrat de collaboration avec la Crtv avait été rompu en 2018 suite à une résolution du conseil d’administration de l’entreprise lui reprochant le «non-respect des règles déontologiques», le «non-respect des obligations contractuelles» et le «non-respect des principes de bonne foi et de saine collaboration» avec les services financiers de la Crtv. Ce sont les travaux du Cabinet de M. Emile Christian Bekolo, un expert-comptable bien plus expérimenté et exerçant par ailleurs au Québec (Canada) comme son cadet M. Bela Belinga, qui ont abouti à la rectification des écritures controversées de ce dernier.
Doctorat d’Etat…
Les avocats de M. Vamoulké ne se contentent pas de cela. Ils reviennent sur le curriculum de M. Bela Belinga, l’expert-comptable qui se prévaut d’un doctorat d’Etat en sciences de gestion obtenu à l’Université de Paris Sorbone et d’un master de HEC Paris, de telles affirmations étant sujettes à caution après les vérifications faites auprès des deux institutions. Mais, c’est surtout les conditions d’attribution «pour le moins douteuses» des travaux d’audit au cabinet de M. Bela Belinga après le départ de M. Vamoulké de la Crtv qui sont mises en exergue. Il apparaît que M. Charles Ndongo, le successeur de M. Vamoulké à la tête de cette entreprise publique, a volontairement contourné la procédure de passation des marchés publics pour confier lesdits travaux à BBI Advisory & Audit.
En effet, le 30 décembre 2016, le nouveau DG de la Crtv avait effectivement saisi, dans l’urgence prétendait-il, le ministre camerounais des marchés publics, pour solliciter l’autorisation de signer en faveur de BBI Advisory & Audit, un marché de gré à gré portant sur «la révision, la surveillance comptable et le conseil financier à la Crtv» pour un coût hors taxes de 69,6 millions de francs. Dans sa réponse datée du 11 janvier 2017, le ministre fait observer à M. Charles Ndongo que «l’autorisation d’un marché de gré à gré à ce cabinet entraverait gravement la règle de libre accès à la commande publique, socle des marché publics», d’autant que «le secteur des cabinets comptables [est] suffisamment étoffé».
Pour autant, le ministre avait notifié au DG de la Crtv, «à titre exceptionnel», l’accord pour la signature de ce marché de gré à gré, en lui demandant de se conformer aux dispositions de l’article 29-C du code des marchés publics. «Vous voudrez-bien, dès à présent, procéder à la consultation d’au moins trois cabinets et soumettre le dossier y afférent ainsi que le rapport d’évaluation de cette consultation à votre commission interne de passation des marchés pour examen et avis […] en vue de la signature et de la notification dudit marché dans un délai maximum de 30 jours». Plus loin, dans sa correspondance, le ministre des marchés publics prenait le soin de demander à l’actuel DG de la Crtv de s’assurer «de la conformité du coût de la prestation à la mercuriale officielle, le cas échéant, d’en saisir les services du ministère en charge des prix pour déterminer le montant retenu dans [sa] commande».
82,998 millions de francs
Dans leur communiqué publié en début de semaine dans les colonnes de Kalara, les avocats soulignent que la consultation prescrite dans la lettre du ministre des marchés publics n’a jamais eu lieu : «BBI sera, en dépit de son offre très supérieure au prix du marché (82,998 millions de francs facturés pour l’ensemble de la mission), mandaté par la Crtv pour effectuer l’audit de ses comptes». Selon les informations obtenues par Kalara auprès de diverses sources concordantes, le cabinet de M. Bela Belinga a donc bénéficié d’une surfacturation. M. Bela Belinga se vante d’avoir entièrement été rémunéré malgré la rupture de son contrat à la demande du conseil d’administration de la Crtv. A noté que toutes les démarches de Kalara auprès de la direction générale de la Crtv en vue d’obtenir sa version des faits sont demeurées vaines. C’est aussi le mutisme du côté de M. Bela Belinga, qui ne répond plus à aucune sollicitation de votre journal.
Bon à savoir : avant l’arrivée de BBI à la Crtv, les travaux de révision, surveillance comptable et conseil financier étaient payés à 4,9 millions de francs toutes taxes comprises, à l’expert-comptable Mbiaga Jean Pierre, incarcéré avec M. Vamoulké, sur la base de l’audit controversé mené par M. Bela Belinga. Ce dernier a-t-il manœuvré auprès de l’actuel DG de la Crtv pour faire écarter son confrère pour hériter du marché ? Certains responsables des services financiers de la Crtv en sont convaincus. Mais, quoi qu’il en soit, la surfacturation faite en faveur du Cabinet de M. Bela Belinga paraît d’autant grossière que le cabinet Bekolo & Partners, qui a pris la relève depuis la répudiation de BBI, est rémunéré pour la même mission à un peu moins de 10 millions de francs au total.
Rappelons que le second procès contre M. Vamoulké devant le TCS avait démarré avec une inculpation initiale pour un détournement imaginaire de 25 milliards de francs sur la base du rapport de M. Bela Belinga. Cet expert-comptable recruté en violation des règles de concurrence jugeait que plusieurs actes posés par le prédécesseur de l’actuel DG de la Crtv violaient les règles d’appel à la concurrence, notamment l’acquisition des droits de retransmission des matches de la Coupe d’Afrique des Nations en 2010 et l’achat du carburant et des crédits de téléphone. Après l’enquête judiciaire, l’accusation porte désormais sur des chefs d’inculpation d’une valeur totale de 14,5 milliards de francs à peu près. Ce procès revient le 26 juillet prochain, pour l’audition de M. Vamoulké par M. Mbiaga Jean Pierre et son conseil. La 23e audience, tenue la semaine dernière, n’a pas apporté de révélations significatives dans ce dossier controversé.