Par Christophe Bobiokono – cbobio@gmail.com
Alors que le procès qui l’oppose à l’Etat du Cameroun pour le détournement présumé de 14,5 milliards de francs est à la phase de l’audition des mis en cause et de leurs témoins, l’ancien Directeur général de la Cameroon Radio Television (Crtv), Amadou Vamoulké, a reçu la semaine dernière le soutien de deux avocats du Barreau de Paris. Maître Benjamin Chouai et Maître Fabrice Epstein ont ainsi été, peut-être à leur corps défendant, les vedettes de l’audience du Tribunal criminel spécial (TCS) qui s’est déroulée le jeudi 27 mai 2021. Constitués auprès des avocats camerounais qui assurent déjà la défense de l’ancien DG de la Crtv, notamment Maître Alice Nkom et Maître Emmanuel Pondi Pondi, les deux avocats parisiens sont venus apporter leur pierre à la destruction des accusations portées contre leur client. Ils ont choisi pour cela de venir dévoiler l’une des facettes peu avenante de M. Isaac Joël Bela Belinga, l’expert-comptable dont les travaux servent de socle aux poursuites judiciaires orchestrées contre M. Vamoulké.
M. Bela Belinga avait exercé, justement à Paris, le métier d’expert-comptable et de commissaire aux comptes avant d’obtenir en 2016 de M. Charles Ndongo, l’actuel DG et successeur de M. Vamoulké à la tête de la Crtv, le mandat de mener l’audit comptable et financier de la Crtv pour les années 2014, 2015 et début 2016. A cet effet, il avait créé successivement deux cabinets comptables à Paris (BBI Advisory & Audit France et BVA Audit & Conseil France), qui connurent tous les deux une liquidation judiciaire pour «absence d’actif» (lire Kalara N°281). Les tribunaux de commerce de Lyon et de Bobigny, en France, avaient rendu en tout quatre décisions défavorables à BBI Advisory & Audit France, dont l’une qui constate d’ailleurs «l’impécuniosité» de la procédure de liquidation du Cabinet d’expertise comptable, donc son insolvabilité. Les avocats français estiment que ces décisions de justice sont la preuve du manque de sérieux et de fiabilité de l’expert-comptable camerounais.
Casseroles en France
Benjamin Chouai et Fabrice Epstein ont profité de l’audience de la semaine dernière pour suggérer aux juges du TCS de porter un regard attentif au contenu des quatre décisions qu’ils ont retrouvées dans les greffes des tribunaux commerciaux de Lyon et de Bobigny, l’objectif étant d’enlever tout crédit à l’audit réalisé par M. Bela Belinga en un peu plus de trois mois à la Crtv. «Fort de ces quatre éléments dont la production à vos débats nous paraît capitale et essentielle pour que vous puissiez faire œuvre de justice, dans la mesure où le seul et unique élément qui fonde l’accusation portée à tort à l’endroit de M. Vamoulké se trouve profondément vicié, il vous faut impérativement prendre connaissance de ces éléments de manière à vous faire une opinion de cet expert singulier et très fragile», a déclaré Me Chouai.
Son confrère Fabrice Epstein va rajouter une couche en évoquant le proverbe français selon lequel «charité bien ordonnée commence par soi-même». Une façon de dire qu’au regard de ses casseroles en France, M. Bela Belinga est mal placé pour soutenir une accusation.
Les interventions des deux avocats français ont semblé irriter le banc les avocats de l’Etat (ministère des Finances – Minfi – et Crtv), d’autant que leurs déclarations sont venues à la suite de la prise de parole de Maître Pondi, qui a sollicité le renvoi à plus tard de la suite du procès, en attendant que le Tribunal de grande instance du Mfoundi «exéquature» les quatre décisions des tribunaux français évoquées, c’est-à-dire leur donne une valeur exécutoire sur le sol camerounais. Des décisions que la défense de M. Vamoulké a dit vouloir servir au TCS, entre autres, comme pièces à conviction afin de dédouaner l’ancien DG des accusations portées contre sa personne. Maître Alice Nkom a appuyé la position de ses jeunes confrères de la défense en précisant que M. Bela Belinga avait reçu «de juteux honoraires» pour son audit controversé en dépit d’un passé professionnel catastrophique en France.
Visiblement mécontents du ramdam médiatique orchestré par les médias, notamment RFI, sur la 67è audience de cette procédure qui dure depuis plus de 4 ans et la présence des avocats parisiens dans le prétoire, Maître Kangue, l’un des trois avocats du Minfi, s’est offusquée contre le procès fait à M. Bela Belinga : «Ces décisions, c’est un coup d’épée dans l’eau. Pour une raison simple : c’est pour jeter l’opprobre sur la moralité de l’expert. Cet expert n’est pas prévenu. Son rapport, d’un point de vue juridique, est une dénonciation».
Maître Bell Hagbe, avocat de la Crtv, va lui emboîter le pas en s’interrogeant sur «l’impact que pourrait avoir [les décisions annoncées] sur le déroulé du procès». Pour lui, M. Bela Belinga est un expert-comptable recruté à la Crtv par M. Vamoulké lui-même. «C’est M. Vamoulké, qui ne l’a pas contesté ici, qui avait choisi M. Bela Belinga pour sa probité morale et intellectuelle», a déclaré l’avocat de la Crtv en ajoutant que l’expert-comptable avait été rémunéré à moins de 5 millions de francs, taxes comprises, ce qu’il considère comme «l’argent des beignets pour un expert-comptable de cet acabit».
Phase de l’interrogatoire
Maître Ndjodo Bikoun, qui brandit ses «30 ans» au barreau comme épouvantail, va se livrer au procès des médias, non sans égratigner bruyamment ce qu’il considère comme le manque de confraternité des avocats français, coupables à ses yeux de n’être pas venus lui dire bonjour avant le début de l’audience. «La justice, dit-il avec emphase par la suite, ce n’est pas dans les médias». Puis, il met le costume du défenseur de l’image du pays : «ce qu’on veut mettre en relief, c’est l’incurie d’un Etat qui a refusé de juger et qui a embastillé le grand journaliste depuis 4 ans».
Quelques minutes plus tôt, le représentant du ministère public avait évoqué divers articles du code de procédure pénale et des lois portant organisation du TCS pour se scandaliser de ce que la défense affirme que le rapport d’audit de M. Bela Belinga, présenté par lui au début du procès comme «l’un des meilleurs expert-comptable de la planète», est le fondement de l’accusation contre M. Vamoulké. «Il est faux de dire qu’il n’y a jamais eu d’enquête policière dans cette affaire. C’est faux…» Il évoque tour à tour l’enquête menée par les Officiers de police judicaire du TCS, l’enquête judiciaire faite par un juge d’instruction, et la saisine de la juridiction de jugement par une ordonnance, pour dire que «la loi camerounaise a été respectée».
Le représentant du ministère public va ensuite estimer que les avocats de la défense perturbent la conduite du procès, qui est à la phase de l’interrogatoire de l’ancien DG de la Crtv par ses avocats. «Nous attendons l’examination in chief de M. Vamoulké mais la défense soulève des exceptions», dit-il, tout en précisant que le procès ne saurait connaître une suspension au prétexte de la production des pièces, dès lors que la loi prévoit que «les preuves peuvent être produites à tout moment» jusqu’à la clôture des débats. C’est le point de vue que va adopter le tribunal au moment de trancher le débat. Il explique aussi que les 4 décisions évoquées par les avocats français n’ont pas besoin d’un exéquatur pour les besoins du procès. Elles peuvent être présentées en l’état. La suite du procès est renvoyée au 31 mai pour l’’audition de M. Vamoulké.
Benjamin Chouai et Fabrice Epstein, qui ont repris le chemin de Paris vendredi dernier, n’ont pas pris part à l’audience du lundi 31 mai, au cours de laquelle les 4 décisions françaises n’ont pas été reçues par le tribunal. Le tribunal estime qu’elle ne respectent pas les conditions de forme prévues par la loi (elles devraient être présentées soit en original, soit en photocopie certifiée conforme). Mais, avant de repartir, les deux avocats parisiens auront pris part le 28 mai à un point de presse conjointement animé par Reporter Sans Frontière (RSF), le Réseau des défenseurs des Droits humains d’Afrique centrale (Redhac) et les avocats de l’ancien DG de la Crtv, qui se battent tous pour la remise en liberté de M. Vamoulké, sa réhabilitation et la réparation de sa détention, qui est d’ores et déjà considérée comme arbitraire par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire.
Figure du journalisme
Les journalistes ont exprimé aux avocats français leur curiosité devant le choix de s’intéresser uniquement au cas Vamoulké, alors que plusieurs autres responsables publics croupissent dans les prisons camerounaises parce que poursuivies pour détournement des deniers publics. La réponse de Maître Benjamin Chouai : «M. Vamoulké est une grande figure du journalisme et de l’audiovisuel bien connue au niveau international. Certaines de ses connaissances nous ont sensibilisé sur sa situation carcérale et de santé, notamment du fait de son âge et des risques liés au Covid, mais aussi sur le caractère inéquitable de son procès». C’est la raison de leur venue au Cameroun, confortés par les frasques de M. Bela Belinga en France. Les deux avocats, qui s’étonnent que l’expert-comptable ait pu faire l’audit des 11 ans de gestion de M. Vamoulké en trois mois, ont promis revenir lorsque le procès sera à la phase des réquisitions et plaidoiries.
A titre de rappel, M. Vamoulké fait l’objet de deux procédures judiciaires devant le TCS, dont l’une née du rapport d’audit de M. Bela Belinga, pour laquelle il répond, avec un prestataire de service et cinq anciens collaborateurs d’un présumé détournement des fonds publics d’un montant global de 14,58 milliards de francs, sur la base d’une enquête judiciaire bouclée le 24 janvier 2019. L’expert-comptable camerounais controversé est l’unique témoin de l’accusation dans cette affaire. Son témoignage, débuté le 25 mars 2020, s’était achevé le 23 février 2021. Le procès est à ce jour à la phase de l’audition des mis en cause au premier rang desquels se trouve l’ancien DG de la Crtv. Recruté après son audit pour des travaux plus importants par M. Charles Ndongo, M. Bela Belinga avait été finalement répudié de la Crtv par le Conseil d’administration le 28 juillet 2016.