Priv\u00e9 de libert\u00e9 depuis le 1er<\/sup> juin 2009, M. Jean Simon Ngwang Bayihe occupait la fonction de directeur financier et comptable du Chantier naval et industriel du Cameroun (Cnic), entreprise publique florissante \u00e0 l\u2019\u00e9poque, lorsque ses ennuis judiciaires commencent. Un peu plus d\u2019un an plus t\u00f4t, le 5 mai 2008, M. Zacchaeus Mungwe Forjindam, premier dirigeant et artisan de la croissance fulgurante du Cnic, avait \u00e9t\u00e9 cueilli dans la cour de l\u2019entreprise et jet\u00e9 en prison avec certains de ses anciens collaborateurs. C\u2019\u00e9tait \u00e0 la suite d\u2019un audit initi\u00e9 par la Soci\u00e9t\u00e9 nationale des Hydrocarbures (SNH), actionnaire majoritaire du Chantier naval, dont le rapport de 700 pages avait relev\u00e9 de pr\u00e9sum\u00e9es ind\u00e9licatesses dans la gestion financi\u00e8re de l\u2019entreprise. Epargn\u00e9 par la bourrasque de mai 2008 et rest\u00e9 en poste, M. Ngwang devenait imm\u00e9diatement la b\u00eate \u00e0 abattre pour le DG par int\u00e9rim, M. Antoine Bikoro Alo\u2019o.<\/p>\n Motion de soutien<\/strong><\/p>\n Directeur financier de la SNH auparavant, M. Bikoro Alo\u2019o avait int\u00e9gr\u00e9 le Cnic comme directeur g\u00e9n\u00e9ral adjoint, quelques mois avant la chute de M. Forjindam, qu\u2019il avait manifestement pour mission de d\u00e9stabiliser. Devenu directeur g\u00e9n\u00e9ral par int\u00e9rim apr\u00e8s l\u2019embastillement de ce dernier, il va rapidement multiplier les tentatives pour obtenir le d\u00e9part du directeur financier trouv\u00e9 en poste. Il est \u00e0 peine aux commandes de l\u2019entreprise qu\u2019il recrute un de ses fr\u00e8res, M. Moneze Parfait Emmanuel, avec l\u2019intention d\u2019en faire le successeur de M. Ngwang Bayihe. Ce projet est d\u00e9voil\u00e9 \u00e0 travers une motion de soutien adress\u00e9e au chef de l\u2019Etat par des ressortissants de l\u2019arrondissement de Bengbis r\u00e9sidants \u00e0 Yaound\u00e9. Publi\u00e9e dans Cameroon Tribune<\/em> du 31 mai 2018, le document remercie le chef de l\u2019Etat d\u2019avoir port\u00e9 M. Moneze (pr\u00e9sident de la section du Rdpc du Dja et Lobo IV) au poste de directeur financier du Cnic pourtant encore occup\u00e9 par M. Ngwang Bayihe\u2026<\/p>\n Pour des raisons li\u00e9es, semble-t-il, aux pratiques de gestion peu orthodoxes du nouveau venu, M. Moneze, le projet va capoter. Sans d\u00e9sarmer pour autant, le DG par int\u00e9rim d\u00e9cide d\u00e8s septembre 2008 de s\u2019appuyer sur le cabinet d\u2019expertise-comptable Bekolo & Partners pour recruter notamment un directeur financier. Cette mission n\u2019aboutira malheureusement pas pour M. Bikoro Alo\u2019o. Apr\u00e8s ce second \u00e9chec, le DG envisage la suppression du poste de directeur financier dans l\u2019organigramme de l\u2019entreprise. D\u00e9saveu du conseil d\u2019administration du Chantier naval qui se tient le 2 avril 2009\u00a0: l\u2019instance d\u00e9cide plut\u00f4t d\u2019accro\u00eetre les pouvoirs de M. Ngwang, qui devient directeur financier et comptable \u00e0 cette l\u2019occasion\u2026<\/p>\n Sont-ce les difficult\u00e9s rencontr\u00e9es par le DG par int\u00e9rim pour se d\u00e9barrasser de son collaborateur qui le poussent \u00e0 recourir \u00e0 la justice pour atteindre son objectif\u00a0? C\u2019est probable. En tout cas, d\u00e8s le 3 novembre 2008, c\u2019est-\u00e0-dire \u00e0 peine six mois apr\u00e8s la prise de contr\u00f4le de l\u2019entreprise, il d\u00e9pose une nouvelle plainte contre l\u2019ancien DG en indexant de fa\u00e7on explicite M. Ngwang Bayihe Jean-Simon et M. Njande Antoine, ancien directeur financier en fuite. Cette plainte d\u00e9nonce de pr\u00e9tendues malversations financi\u00e8res sur douze (12) ch\u00e8ques tous dat\u00e9s du premier trimestre de 2003, d’un montant total d\u2019un peu plus de 206 millions de francs. Sign\u00e9s du DG, l’ordonnateur des d\u00e9penses, sept de ces ch\u00e8ques d\u2019une valeur globale de 127 millions de francs sont cosign\u00e9s par M. Ngwang Bayihe, \u00e0 l\u2019\u00e9poque chef du d\u00e9partement administratif et financier, et les autres par M. Njande Antoine. Le motif de la plainte est que lesdits ch\u00e8ques constituent des paiements destin\u00e9s \u00e0 des fournisseurs fictifs et ne reposent sur aucune pi\u00e8ce justificative.<\/p>\n La descente de la police au Chantier naval lors de l\u2019enqu\u00eate judiciaire ne permet pas de trouver les pi\u00e8ces justificatives des paiements querell\u00e9s aux archives. Mais l\u2019enqu\u00eateur apprendra de la bouche de l\u2019adjoint au chef comptable, trouv\u00e9 sur place, que son chef hi\u00e9rarchique direct \u00e9tait en possession des documents recherch\u00e9s \u00e0 l\u2019\u00e9poque des paiements. C\u2019est sur cette base que la comptabilit\u00e9 de l\u2019entreprise a \u00e9t\u00e9 faite, comme c\u2019est de r\u00e8gle, apr\u00e8s les paiements. Comment les 12 ch\u00e8ques en cause ont-ils \u00e9t\u00e9 identifi\u00e9s\u00a0? Dans la plainte, il est mentionn\u00e9 que c\u2019est un \u00abcontr\u00f4le de routine\u00bb qui a mis en exergue des malversations financi\u00e8res. Sauf qu\u2019il est difficile de soutenir qu\u2019un contr\u00f4le de routine effectu\u00e9 en 2008 puisse se faire sur une gestion vieille de 5 ans\u2026<\/p>\n Chasse \u00e0 l\u2019homme<\/strong><\/p>\n Devant la police judiciaire, M. Bikoro Alo\u2019o, le DG par int\u00e9rim et auteur de la plainte, va plut\u00f4t d\u00e9clarer que c\u2019est en r\u00e9ponse \u00e0 une demande du juge d\u2019instruction charg\u00e9 de la premi\u00e8re affaire Forjindam que des v\u00e9rifications ont \u00e9t\u00e9 faites. Bien qu\u2019aucune trace d\u2019une telle correspondance n\u2019ait jamais \u00e9t\u00e9 trouv\u00e9e, le DGi va renouveler cette r\u00e9ponse lors de l\u2019instruction et devant l\u2019instance de jugement. Il est appuy\u00e9 par le chef de la section tr\u00e9sorerie et recouvrement du Cnic, t\u00e9moin de l\u2019entreprise, qui fera cependant l\u2019aveu d\u2019avoir re\u00e7u instruction de M. Bikoro Alo\u2019o de mener des \u00abinvestigations confidentielles\u00bb<\/em> sur une base jamais r\u00e9v\u00e9l\u00e9e.<\/p>\n A noter que les premiers ennuis judiciaires de M. Forjindam avaient pour point de d\u00e9part un audit controvers\u00e9 sur la gestion du Cnic de 2003 \u00e0 2005 (lire encadr\u00e9) command\u00e9 par la Soci\u00e9t\u00e9 nationale des Hydrocarbures (SNH), actionnaire majoritaire du Chantier naval, dans une esp\u00e8ce de chasse \u00e0 l\u2019homme. M. Bikoro Alo\u2019o, ancien directeur financier de la SNH, avait \u00e9t\u00e9 nomm\u00e9 comme directeur g\u00e9n\u00e9ral adjoint du Cnic, dans la m\u00eame mouvance, quelques mois avant la chute de M. Forjindam. En fait, le rapport de l\u2019audit d\u00e9clench\u00e9 par la SNH avait identifi\u00e9 de pr\u00e9tendus paiements jug\u00e9s fictifs pour 848 millions de francs. Le transfuge de la SNH va donc s\u2019\u00e9tonner \u00abque M. Ngwang Bayihe Jean-Simon, qui a pourtant occup\u00e9 les fonctions de chef de d\u00e9partement comptable et financier jusqu\u2019\u00e0 la cr\u00e9ation de la direction financi\u00e8re en mars 2003, et qui en cette qualit\u00e9 cosignait avec M. Zacchaeus Mungwe Forjindam, ci-devant directeur g\u00e9n\u00e9ral, n\u2019a pas du tout \u00e9t\u00e9 inqui\u00e9t\u00e9 par l\u2019enqu\u00eate initialement ouverte\u00bb<\/em>.<\/p>\n De toutes les fa\u00e7ons, lorsque le Tribunal de grande instance (TGI) du Wouri rend son verdict dans cette deuxi\u00e8me affaire du Chantier naval, le vendredi 20 juillet 2012, il reconnait tous les trois accus\u00e9s coupables du d\u00e9tournement de la somme de 206 millions de francs, en jugeant que les 12 ch\u00e8ques en cause ont servi de \u00abpaiements \u00e0 des fournisseurs fictifs\u00bb<\/em>. Il leur inflige la condamnation \u00e0 la prison \u00e0 vie, c\u2019est-\u00e0-dire le maximum de la peine pr\u00e9vue par le code p\u00e9nal en mati\u00e8re de d\u00e9tournement des deniers publics.<\/p>\n Deux ans plus t\u00f4t, en octobre 2010, en rendant son verdict dans le premier volet des affaires Forjindam toujours pour des \u00abpaiements \u00e0 des fournisseurs fictifs\u00bb<\/em> d\u2019une valeur de 848 millions de francs, le m\u00eame tribunal avait \u00e9t\u00e9 plus cl\u00e9ment avec les mis en cause\u00a0: l\u2019ancien DG avait \u00e9t\u00e9 condamn\u00e9 \u00e0 12 ans de prison, apr\u00e8s avoir \u00e9t\u00e9 admis avec ses coaccus\u00e9s au b\u00e9n\u00e9fice des circonstances att\u00e9nuantes en leur qualit\u00e9 de\u00a0 \u00abd\u00e9linquants primaires\u00bb. Bien que d\u00e9clar\u00e9s en fuite, les coaccus\u00e9s de M. Zacchaeus Mungwe Forjindam avait \u00e9cop\u00e9 de 13 et 15 ans de prison respectivement.<\/p>\n Absence du rapporteur\u00a0?<\/strong><\/p>\n Qu\u2019est-ce qui explique l\u2019extr\u00eame s\u00e9v\u00e9rit\u00e9 de la deuxi\u00e8me d\u00e9cision du TGI du Wouri dans l\u2019affaire du Chantier naval\u00a0? Nul ne le sait. Ce qui va se passer, en revanche, c\u2019est que Emmanuel Kenmoe, le pr\u00e9sident du coll\u00e8ge des juges qui conna\u00eet de cette affaire, va se retirer de tous les autres proc\u00e8s de d\u00e9tournement de fonds publics encore pendants dont l\u2019examen lui est confi\u00e9. A ce moment, il est aussi le chef de file des juges dans l\u2019affaire opposant la Communaut\u00e9 urbaine de Douala (CUD) \u00e0 M. Etond\u00e8 Ekotto et autres et dans l\u2019affaire opposant la Scdp \u00e0 Jean-Baptiste Nguini Effa et autres. Ces affaires conna\u00eetront leur issue sans la pr\u00e9sence du magistrat Kenmoe, qui aurait d\u00e9cid\u00e9, selon certains observateurs, de manifester sa mauvaise conscience suite aux pressions subies avant le verdict concernant M. Zacchaeus Mungwe Forjindam et M. Ngwang Bayihe\u2026<\/p>\n Il n\u2019emp\u00eache\u00a0: les deux condamn\u00e9s vont d\u00e9cider de faire pourvoi de la d\u00e9cision qui les condamne si durement. L\u2019instruction de l\u2019affaire \u00e0 la Cour Supr\u00eame s\u2019effectue d\u2019octobre 2012 \u00e0 f\u00e9vrier 2013. Le dossier est appel\u00e9 pour la premi\u00e8re fois \u00e0 l\u2019audience de la haute juridiction le 9 juillet 2013 en m\u00eame temps que la premi\u00e8re affaire qui concerne l\u2019ancien DG du Cnic. Ce jour-l\u00e0 aussi, d\u2019anciens dirigeants du Port autonome de Douala ont aussi rendez-vous avec la section sp\u00e9cialis\u00e9e de la Cour supr\u00eame. L\u2019examen de ces trois dossiers sera renvoy\u00e9 \u00e0 une date ult\u00e9rieure, aucune disposition n\u2019ayant \u00e9t\u00e9 prise pour que les condamn\u00e9s, qui sont tous plac\u00e9s en d\u00e9tention \u00e0 la prison centrale de Douala assistent \u00e0 l\u2019audience \u00e0 Yaound\u00e9.<\/p>\n L\u2019affaire concernant M. Ngwang Bayihe ne sera plus rappel\u00e9e que cinq ans plus tard, le 16 octobre 2018. Pire que pour l\u2019audience du 9 juillet 2013, les mis en cause ne re\u00e7oivent ni convocation, ni ordre d’extraction de la prison de New-Bell. L\u2019audience se tient curieusement en leur absence. La d\u00e9cision de la Cour dans cette circonstance se passe de commentaires : les juges pr\u00e9sents \u00e0 l\u2019audience constate \u00abl\u2019absence du rapporteur\u00bb et ordonne un \u00abr\u00e9examen du rapport\u00bb<\/em>. L\u2019examen du dossier est une nouvelle fois ajourn\u00e9e \u00e0 une prochaine audience. Cette derni\u00e8re ne s\u2019est jamais tenue jusqu\u2019\u00e0 ce jour\u2026<\/p>\n Entre-temps, pourtant, le premier dossier concernant M. Zacchaeus Mungwe Forjindam a connu une issue devant la m\u00eame Cour supr\u00eame. Le verdict de la Cour d\u2019appel du Littoral qui avait condamn\u00e9 l\u2019ancien DG \u00e0 15 ans de prison apr\u00e8s une condamnation initiale de 12 ans de r\u00e9clusion par le TGI du Wouri a \u00e9t\u00e9 cass\u00e9e. Le 1er novembre 2016, la Cour supr\u00eame a revu la peine de l\u2019ancien DG, la ramenant \u00e0 10 ans de prison qui est \u00e9puis\u00e9e depuis le 7 mai 2018\u2026 Toutes les autres affaires de d\u00e9tournement de fonds publics\u00a0 tranch\u00e9es devant les juridictions de Douala ont connu un verdict \u00e0 la Cour supr\u00eame, bien qu\u2019elles soient plus lourdes et concernent chacune un plus grand nombre d\u2019accus\u00e9s. Interpell\u00e9 depuis le 1er<\/sup> juin 2009 et plac\u00e9 en d\u00e9tention depuis lors, M. Ngwang Bayihe n\u2019a jamais connu le simple plaisir de compara\u00eetre devant la Cour supr\u00eame.<\/p>\n D\u00e9marches gratuites<\/strong><\/p>\n En fait, apr\u00e8s la premi\u00e8re audience de la haute juridiction au cours de laquelle son affaire avait \u00e9t\u00e9 appel\u00e9e, en 2013, un vaste mouvement de la magistrature a balay\u00e9 M. Alexis Dipanda Mouelle et Rissouck A Moulong, qui \u00e9taient devenus incontr\u00f4lables par le pouvoir ex\u00e9cutif apr\u00e8s 25 ans comme premier pr\u00e9sident et procureur g\u00e9n\u00e9ral de la haute juridiction. Ces derniers ont \u00e9t\u00e9 remplac\u00e9s par de hauts magistrats qui \u00e9taient encore en service \u00e0 Douala \u00e0 l\u2019\u00e9poque o\u00f9 d\u00e9clencha la seconde affaire Forjindam. Le premier pr\u00e9sident de la section sp\u00e9cialis\u00e9e de la Cour supr\u00eame, bien que toujours en service \u00e0 la Cour supr\u00eame, a \u00e9t\u00e9 d\u00e9charg\u00e9 des affaires de l\u2019op\u00e9ration dite \u00e9pervier. Les nouveaux patrons de la haute juridiction ont-ils d\u00e9cid\u00e9 de prolonger, \u00e0 Yaound\u00e9, une mission qu\u2019ils pourraient avoir d\u00e9marr\u00e9e \u00e0 Douala\u00a0? Rien ne permet de l\u2019affirmer.<\/p>\n
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<\/a><\/p>\n