L\u2019affaire opposant l\u2019Etat du Cameroun \u00e0 l\u2019ancien directeur g\u00e9n\u00e9ral de la Soci\u00e9t\u00e9 camerounaise des D\u00e9p\u00f4ts p\u00e9troliers (Scdp), Jean Baptiste Nguini Effa, et ses coaccus\u00e9s devant le Tribunal criminel sp\u00e9cial (TCS), aborde son dernier virage apr\u00e8s 13 ans d\u2019un proc\u00e8s \u00e0 rebondissements. La derni\u00e8re audience de cette proc\u00e9dure judiciaire tenue le 30 mars 2022 a \u00e9t\u00e9 consacr\u00e9e aux r\u00e9quisitions finales du minist\u00e8re public et les observations des avocats de l\u2019Etat. Les juges ont programm\u00e9 pour les 22, 25 et 26 avril 2022 les plaidoiries des avocats de la d\u00e9fense. Jean Baptiste Nguini Effa est poursuivi en compagnie de deux anciens directeurs administratif et financier, Jean Onana Adzi, et James Ngoube Moukoko, mais aussi de Jean Gueye Beautemps Mackongo, ancien directeur de la comptabilit\u00e9 de l\u2019entreprise, Marc Thierry Etoundi, Kisito Cyr Toni Mifi Bogne Ondoua et Th\u00e9odore Guillaume Toko Dikongue, anciens employ\u00e9s des services financiers de la Scdp.<\/p>\n
Avant d\u2019aborder le vif du sujet le 30 mars 2022, c\u2019est-\u00e0-dire de donner son avis \u00e0 travers ses r\u00e9quisitions sur les chefs d\u2019accusation retenus contre Jean Baptiste Nguini Effa et ses anciens collaborateurs, le magistrat du parquet s\u2019est d\u2019abord prononc\u00e9 au sujet des \u00abexceptions\u00bb soulev\u00e9es par M. Nguini Effa au cours des d\u00e9bats. Il s\u2019agit de l\u2019exception portant sur la requalification des faits qui lui sont reproch\u00e9s, d\u2019une part, et celle visant la nullit\u00e9 de l\u2019ordonnance de renvoi du juge d\u2019instruction, d\u2019autre part.<\/p>\n
S\u2019agissant de la premi\u00e8re exception, le parquet explique que l\u2019accus\u00e9 Nguini Effa demande au tribunal de requalifier les faits de d\u00e9tournement de deniers publics incrimin\u00e9s en ceux d\u2019abus de droits sociaux pr\u00e9vus dans les dispositions de la loi 2003 Ohada portant sur les soci\u00e9t\u00e9s commerciales, telle que la Scdp. En r\u00e9action \u00e0 cette requ\u00eate, le minist\u00e8re public pr\u00e9cise que la Scdp est une soci\u00e9t\u00e9 mixte dans laquelle l\u2019Etat du Cameroun d\u00e9tient un important capital avant d\u2019ajouter que les cas de d\u00e9tournement des deniers publics qui y sont commis, doivent \u00eatre punis par les dispositions de l\u2019article 184 du code p\u00e9nal et non par loi 0hada de 2003 r\u00e9gissant les soci\u00e9t\u00e9s essentiellement commerciales.<\/p>\n
L\u2019article 184 dont il s\u2019agit dispose que \u00abquiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destin\u00e9 ou confi\u00e9 \u00e0 l\u2019Etat f\u00e9d\u00e9ral ou f\u00e9d\u00e9r\u00e9, \u00e0 une coop\u00e9rative, collectivit\u00e9 ou \u00e9tablissement, ou publics ou soumis \u00e0 la tutelle administrative de l\u2019Etat ou dont l\u2019Etat d\u00e9tient directement ou indirectement la majorit\u00e9 du capital, est puni, au cas o\u00f9 la valeur de ces biens exc\u00e8de 500 mille francs, d\u2019un emprisonnement \u00e0 vie\u00bb<\/em>. Selon le repr\u00e9sentant du minist\u00e8re public, la demande de requalification introduite par l\u2019ancien DG doit \u00eatre rejet\u00e9e par les juges.<\/p>\n Arr\u00eat des poursuites? <\/strong><\/p>\n Abordant l\u2019exception visant la nullit\u00e9 de l\u2019ordonnance du juge d\u2019instruction qui a renvoy\u00e9 M. Nguini Effa en jugement devant le TCS, le parquet note que ce dernier a, au cours de son interrogatoire, contest\u00e9 le bien fond\u00e9 des chefs d\u2019accusation retenus \u00e0 son encontre. Le magistrat du parquet balaie d\u2019un revers de la main cette autre requ\u00eate. Pour soutenir son argumentaire, il \u00e9voque les dispositions de l\u2019article 267 du Code de proc\u00e9dure p\u00e9nale disposant que les actes du juge d\u2019instruction peuvent \u00eatre frapp\u00e9s d\u2019appel devant la chambre de contr\u00f4le de l\u2019instruction, dans le d\u00e9lai de 48h, qui court \u00e0 compter du lendemain du jour de la notification de l\u2019ordonnance de renvoi. Or, souligne le magistrat du parquet, il se trouve que ni l\u2019ancien DG de la Scdp et ses coaccus\u00e9s, ni le parquet encore moins la partie civile, n\u2019avaient attaqu\u00e9 ladite ordonnance dans le d\u00e9lai requis par la loi en vigueur.<\/p>\n Enfin, s\u2019agissant de la troisi\u00e8me exception soulev\u00e9e par un coaccus\u00e9 de M. Nguini Effa relative \u00e0 l\u2019arr\u00eat des poursuites judiciaires pour avoir d\u00e9j\u00e0 restitu\u00e9 le corps du d\u00e9lit, le minist\u00e8re public demande que cette requ\u00eate connaisse le m\u00eame sort que les deux premi\u00e8res, c\u2019est-\u00e0-dire qu\u2019elle soit rejet\u00e9e. Il explique que l\u2019accus\u00e9 qui a soulev\u00e9 cette exception n\u2019a pas produit les pi\u00e8ces justificatives du remboursement int\u00e9gral ou partiel des fonds qui lui sont r\u00e9clam\u00e9s avant d\u2019ajouter que la restitution des fonds d\u00e9tourn\u00e9s n\u2019est pas synonyme d\u2019arr\u00eat automatique des poursuites judiciaires.<\/p>\n Pendant ses r\u00e9quisitions finales proprement dites, corrobor\u00e9es par les avocats de la Scdp, le minist\u00e8re public a \u00e9t\u00e9 sans piti\u00e9 pour l\u2019ancien directeur g\u00e9n\u00e9ral (DG) de la Jean Baptiste Nguini Effa et ses coaccus\u00e9s, \u00e0 l\u2019exception de Th\u00e9odore Guillaume Toko Dikongue et Kisito Cyr Toni Mifi Bogne Ondoua en faveur de qui il a requis \u00e0 d\u00e9charge. Le magistrat du parquet a pr\u00e9cis\u00e9 que pendant les d\u00e9bats, des pi\u00e8ces au soutien de l\u2019accusation ont \u00e9t\u00e9 produites au tribunal, d\u00e9battues contradictoirement et admises au dossier de proc\u00e9dure comme des pi\u00e8ces \u00e0 conviction. Il a, en outre, indiqu\u00e9 que l\u2019ordonnance de renvoi du juge d\u2019instruction et le rapport d\u2019expertise de l\u2019expert financier commis par le TCS pour faire la lumi\u00e8re dans cette affaire concordent avec les d\u00e9clarations des t\u00e9moins de l\u2019accusation, qui imputent aux accus\u00e9s un suppos\u00e9 d\u00e9tournement de deniers publics d\u2019un montant global de 882,6 millions de francs repartis en deux volets. Il s\u2019agit des d\u00e9penses r\u00e9alis\u00e9es dans le cadre du fonctionnement du Si\u00e8ge Scdp de Douala et celles relatives aux activit\u00e9s du projet Nsam \u00e0 Yaound\u00e9.<\/p>\n Pi\u00e8ces douteuses et irr\u00e9guli\u00e8res<\/strong><\/p>\n Dans son argumentaire, le parquet a d\u00e9sign\u00e9 M. Nguini Effa comme \u00e9tant le principal responsable qui avait permis la commission des d\u00e9tournements de fonds publics all\u00e9gu\u00e9s. La raison \u00e9tant que c\u2019est lui qui ordonnait les retraits des fonds \u00e0 la banque et contresignait les ch\u00e8ques bancaires avec les diff\u00e9rents directeurs administratifs et financiers. Ensuite, note le repr\u00e9sentant du parquet, la r\u00e8glementation en vigueur exige que tous les fonds retir\u00e9s du compte bancaire de l\u2019entreprise doivent imp\u00e9rativement \u00eatre revers\u00e9s \u00e0 la caisse principale de la Scdp avant toute utilisation. Or, d\u2019apr\u00e8s le parquet, cette proc\u00e9dure n\u2019a pas \u00e9t\u00e9 respect\u00e9e. L\u2019utilisation des fonds d\u00e9bloqu\u00e9s du compte bancaire de l\u2019entreprise et devant alimenter les coffre-fort des responsables financiers n\u2019a toujours pas \u00e9t\u00e9 justifi\u00e9e. Et quand m\u00eame les accus\u00e9s ont produit les pi\u00e8ces justificatives, le parquet les a qualifi\u00e9es de douteuses et d\u2019irr\u00e9guli\u00e8res \u00e0 cause des anomalies qu\u2019elles pr\u00e9sentent, notamment, l\u2019absence de signature de la caissi\u00e8re principale, le nom du b\u00e9n\u00e9ficiaire des fonds litigieux et la date \u00e0 laquelle la pi\u00e8ce a \u00e9t\u00e9 \u00e9tablie.<\/p>\n Par ailleurs, le minist\u00e8re public a indiqu\u00e9 qu\u2019en 2006, l\u2019\u00e9quipe de M. Nguini Effa avait attribu\u00e9 des march\u00e9s fictifs \u00e0 certains prestataires, parmi lesquels, certains responsables de la Scdp, qui auraient cr\u00e9\u00e9 des entreprises pour les besoins de la cause, en violation flagrantes de la r\u00e8glementation des march\u00e9s publics en vigueur. Le parquet note des d\u00e9tournements pr\u00e9sum\u00e9s dans le projet Nsam lorsque les accus\u00e9s pr\u00e9levaient, du compte de ce projet, des fonds pour payer les prestataires en vue de la location des v\u00e9hicules. Or, des t\u00e9moignages ont \u00e9tabli selon le parquet que le projet n\u2019a jamais lou\u00e9 de v\u00e9hicule. Dans son d\u00e9veloppement, le parquet explique que la violation de la r\u00e8glementation des march\u00e9s publics consistait, d\u2019apr\u00e8s l\u2019accusation, \u00e0 attribuer directement les march\u00e9s aux tiers sans passer par les appels d\u2019offres (sans concurrents). Des march\u00e9s qui auraient \u00e9t\u00e9 int\u00e9gralement pay\u00e9s alors qu\u2019aucune prestation n\u2019avait \u00e9t\u00e9 effectu\u00e9e de m\u00eame qu\u2019il n\u2019existe pas de proc\u00e8s-verbal de r\u00e9ception. Selon l\u2019accusation, ces nombreuses irr\u00e9gularit\u00e9s sont autant d\u2019\u00e9l\u00e9ments qui d\u00e9montrent que l\u2019ancien directeur de la Scdp et ses coaccus\u00e9s ont empoch\u00e9 l\u2019argent de l\u2019Etat.<\/p>\n Au final, le repr\u00e9sentant du parquet a requis le rejet de toutes les exceptions soulev\u00e9es par la d\u00e9fense et la culpabilit\u00e9 des accus\u00e9s, chacun, pour les faits qui lui sont reproch\u00e9s individuellement ou en coaction. Le parquet s\u2019est remis \u00e0 la sagesse du tribunal en ce qui concerne les cas de Th\u00e9odore Guillaume Toko Dikongue et Kisito Cyr Toni Mifi Bogne Ondoua poursuivis respectivement pour le d\u00e9tournement des fonds publics suppos\u00e9s d\u2019une valeur respective de 4,1 millions et 5 millions de francs. C\u2019est le m\u00eame son de cloche du c\u00f4t\u00e9 des avocats de la partie civile qui demandent que le tribunal fasse application de la loi et rendant justice \u00e0 ces derniers. Les avocats de la Scdp ont annonc\u00e9 la constitution de leur client comme partie civile avant d\u2019attaquer \u00e0 leur tour un autre pr\u00e9sum\u00e9 d\u00e9tournement de plus de 800 millions mis \u00e0 la charge des accus\u00e9s. La bataille juridique va se poursuivre au cours des prochaines audiences pr\u00e9vues les 22, 25 et 26 avril prochains avec les plaidoiries des avocats de la d\u00e9fense. Ces avocats se proposent de d\u00e9montrer au tribunal que l\u2019argumentaire d\u00e9velopp\u00e9 par le repr\u00e9sentant du parquet et leurs confr\u00e8res de l\u2019accusation comporte de nombreuses entorses express\u00e9ment entretenues en vue d\u2019obtenir \u00e0 tous les prix la t\u00eate de leurs clients.<\/p>\n Rappelons que M. Nguini Effa en d\u00e9tention provisoire depuis 13 ans, passe en jugement avec six anciens cadres de la Scdp pour un pr\u00e9sum\u00e9 d\u00e9tournement de fonds publics de 2.2milliards de francs.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":" L\u2019affaire opposant l\u2019Etat du Cameroun \u00e0 l\u2019ancien directeur g\u00e9n\u00e9ral de la Soci\u00e9t\u00e9 camerounaise des D\u00e9p\u00f4ts p\u00e9troliers (Scdp), Jean Baptiste Nguini Effa, et ses coaccus\u00e9s devant le Tribunal criminel sp\u00e9cial (TCS), aborde son dernier virage apr\u00e8s 13 ans d\u2019un proc\u00e8s \u00e0 rebondissements. 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