Par Maître Didier Nganko*
La chambre des huissiers de justice du Cameroun, sous l’égide de l’Union internationale des Huissiers de Justice (Uihj), a organisé les 7 et 8/10/2021 à Douala, un séminaire réunissant des membres de plusieurs corps professionnels utilisant le droit comme outil dans l’exercice de leur métier. L’obligation du banquier dans la saisie des comptes bancaires constituait l’une des thématiques qui ont meublé les travaux de ce séminaire. L’intérêt du sujet est indéniable pour plusieurs raisons. En effet, c’est la première fois que les banquiers, les huissiers de justice, les avocats, les magistrats et les universitaires échangent de manière concertée sur l’obligation du banquier, tiers-saisi, dans la procédure de saisie des comptes bancaires. Il faut également noter que le législateur Ohada, dans le souci d’humaniser les procédures d’exécution, a voulu attractive la procédure de saisie des créances. Il accorde par conséquent un intérêt particulier à l’efficacité de cette procédure.
Quantitativement parlant, 99% des saisies de créances sont exécutées entre les mains des banquiers. L’efficacité et l’attractivité de la procédure de saisie des créances reposent par conséquent sur les banquiers. Mais le hic est que la pratique bancaire, il faut le dire, relève de l’ésotérisme ; et dans ce labyrinthe ésotérique de la pratique bancaire, des créances peuvent échapper à la saisie, au grand dam des créanciers poursuivant le recouvrement de leurs créances. Cette situation met à mal l’attractivité recherchée de la procédure de saisie de créances. On observe d’ailleurs à l’épreuve que la saisie des comptes bancaires n’a pas le rendement souhaité, le caractère hermétique de la pratique bancaire y faisant obstruction. La mesure de l’importance de l’enjeu social et juridique du sujet est ainsi soulignée.
De la déclaration du solde
Une vive controverse inattendue s’est élevée dans les débats au sujet de l’obligation qui est faite au banquier tiers-saisi par l’article 161 de l’Acte Uniforme Ohada relatif aux procédures civiles d’exécution de déclarer à l’instant où il reçoit l’acte de saisie le solde du ou des comptes visés par la saisie. Cette controverse est l’objet de la présente tribune. L’article 161 stipule à son alinéa 1 que «lorsque la saisie est pratiquée entre le mains d’un établissement bancaire…, l’établissement est tenu de déclarer, au jour de la saisie, la nature du ou des comptes du débiteur ainsi que leur solde». Les banquiers soutenaient la thèse suivant laquelle le banquier n’est astreint à une déclaration immédiate que s’il est signifié à personne. Ils se référaient ainsi à l’article 156 de l’Acte Uniforme Ohada relatif aux procédures civiles d’exécution. Ce texte stipule à son alinéa 2 que les déclarations du tiers-saisi «…doivent être faites sur le champ … ou au plus tard dans les cinq jours, si l’acte n’est pas signifié à personne…».
A cette thèse, il convient de répondre que l’article 156 est une disposition du droit commun de la saisie des créances et que la saisie des comptes bancaires est une variante, une forme ajustée des règles de ce droit commun. Qu’en appliquant le principe de la primauté de la règle spéciale sur la règle générale, l’article 161 l’emporte sur l’article 156 et doit, de surcroît, faire l’objet d’une interprétation stricte. Le texte de l’article 161 ne prévoit pas que le banquier diffère la déclration du solde du ou des comptes saisis, pas plus qu’il ne fait aucune distinction suivant le mode de signification par lequel le banquier reçoit de l’huissier l’acte de saisie. Dès qu’il est signifié de l’acte de saisie, peu importe la manière, le banquier est tenu de déclarer le solde du ou des comptes visés dans la saisie.
Par ailleurs, l’analogie qui est faite entre les articles 156 et 161 de l’Acte Uniforme Ohada relatif aux procédures civiles d’exécution n’est pas pertinente. En effet, l’article 156 prescrit au tiers-saisi de déclarer ce qu’il doit au débiteur poursuivi ; alors que l’article 161 prescrit au banquier tiers-saisi de déclarer simplement le solde du compte saisi tel qu’il apparaît à l’instant où il reçoit l’acte de saisie. Ce solde, même s’il est créditeur, n’est pas nécessairement ce que le banquier doit au débiteur poursuivi. Ce solde déclaré n’est que la première marche de l’escalier qui conduira ultérieurement le banquier à déclarer ce qu’il doit au débiteur poursuivi. L’objet de la déclaration à ce stade de la procédure n’est donc pas le même. Il faut noter à ce sujet ceci : que ce soit le montant de la somme que le tiers-saisi doit au débiteur poursuivi, ou le solde du compte bancaire, le législateur Ohada mise sur l’instantanéité, l’immédiateté, donc sur l’effet de surprise, pour garantir la sincérité de la déclaration.
Les banquiers ont convoqué avec insistance une jurisprudence de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA) portant sur la question de savoir quand est-ce qu’une personne morale, et particulièrement un établissement financier, est censée avoir été signifiée à personne. Soit ! Mais, il importe de noter que cette jurisprudence ne tranche pas pour autant dans le sens de la thèse qu’ils soutiennent la question de la déclaration telle que prescrite à l’article 161. Si tel était le cas, alors il faut convenir que cette jurisprudence serait critiquable.
Déclaration du montant de la créance due
On peut noter, grosso modo, à propos de l’obligation du banquier tiers-saisi dans la procédure de saisie des comptes bancaires que deux prestations meublent cette obligation. D’abord, le banquier doit déclarer, à la suite de la réception de l’acte de saisie, ce qu’il doit au débiteur poursuivi. C’est l’objectif final du processus de déclaration mis en place par le législateur Ohada. C’est la première prestation à laquelle le banquier est astreint, somme toute classique pour tout tiers-saisi. Une fois qu’il a déclaré ce qu’il doit au débiteur poursuivi, le banquier en devient dépositaire dans le but d’en garantir et d’en assurer le cas échéant le paiement au créancier saisissant. Cest la deuxième prestation. C’est au sujet de l’obligation de déclaration qu’est née la controverse.
La déclaration du banquier tiers-saisi quant au montant de la somme qu’il doit au débiteur poursuivi est un processus complexe, rigoureusement encadré. Le processus se décline en trois épisodes. Dans un premier temps, la déclaration porte sur le solde du ou des comptes saisis, tel qu’il apparaît à l’instant de la saisie. Et elle doit être faite à cet instant. «… L’établissement est tenu de déclarer, au jour de la saisie …», dit l’article 161. A ce stade de la déclaration, il n’est pas prescrit de communiquer les pièces. C’est une question de discrétion tirée du souci de ne pas permettre une immixion des tiers qui serait injustifiée à ce stade dans les comptes du débiteur poursuivi. C’est tout le contraire qui est prescrit dans le droit commun de la saisie des créances.
En effet, il est prescrit à l’article 156 que le tiers-saisi qui reçoit l’acte de saisie, non seulement, doit déclarer ce qu’il doit au débiteur saisi, mais en plus, il «doit communiquer copie des pièces justificatives». Ce parallèle mérite d’être indiqué. Il contribue à souligner la spécificité de la saisie des comptes bancaires par rapport au droit commun de la saisie des créances.
Le solde déclaré ne correspond pas nécessairement à la réalité actuelle du compte. Des opérations exécutées antérieurement à la date de la saisie peuvent demeurer en attente d’être transcrites sur le compte. Le solde déclaré, privé de ces opérations, ne restitue pas la réalité du solde du compte saisi. C’est l’hypothèse visée à l’alinéa 2 de l’article 161. Ce texte stipule en effet que le solde déclaré «peut être affecté à l’avantage ou au préjudice du saisissant par les opérations suivantes, dès lors qu’il est prouvé que leur date est antérieure à la saisie…». Le banquier est sommé d’engager, le cas échéant, cette opération de régularisation du ou des comptes saisis, aussitôt après qu’il a déclaré le solde. C’est une régularisation purement comptable. C’est le deuxième épisode.
Le texte cite, à titre indicatif, quelques unes de ces opérations à transcrire sur le ou les comptes saisis. Il est accordé au banquier quinze jours ouvrables pour ce faire. A l’issue de cette période, plus aucune opération antérieure à la saisie ne pourra être opposable au créancier poursuivant. Par conséquent, le banquier qui déclare à l’instant de la saisie un solde créditeur en réservant expressément dans sa déclaration la liquidation des opérations en cours ne doit pas oublier qu’il dispose d’un délai de quinze jours à l’expiration duquel il ne pourra plus affecter le solde déclaré d’une quelconque opération.
Le banquier ne peut déterminer ce qu’il doit au débiteur poursuivi qu’à l’issue de la liquidation des opérations en cours à la date de la saisie. Toutes les opérations exécutées avant la saisie étant inscrites sur le ou les comptes saisis, le banquier est enfin en mesure de dire ce qu’il doit au débiteur poursuivi. C’est la deuxième déclaration, mais aussi le troisième et dernier épisode du processus de déclaration. Cette deuxième déclaration cantonne la saisie au montant de la somme indiquée dans l’acte de saisie, et libère du même coup les comptes saisis de l’indisponibilité pour l’excédent éventuel.
Les épisodes du processus de déclaration du banquier tiers-saisi prescrite à l’article 161 se tiennent en un tout dans une logique unitaire. C’est moyennant la déclaration du solde du compte au jour de la saisie qu’on accorde au banquier quinze jours pour régulariser, le cas échéant, le ou les comptes saisis et dire enfin ce qu’il doit au débiteur poursuivi. La liquidation des opérations en cours n’aurait aucun intérêt, ni aucun sens si le solde du compte saisi n’était pas déclaré au préalable. D’ailleurs, si la période de quinze jours ouvrables court à compter de la saisie, c’est parce que c’est à la date de la saisie que le solde du compte doit être déclaré. Il serait incohérent de différer la déclaration du solde du compte saisi tout en maintenant que la période de quinze jours ouvrables court à compter de la saisie.
C’est dans l’attente de la liquidation des opérations en cours que le solde du compte déclaré est frappé de l’indisponibilité depuis le jour de la saisie. En effet, le résultat de la liquidation, s’il est négatif, sera imputé d’abord sur l’excédent que le solde déclaré dégagerait par rapport au montant de la créance pour le recouvrement de laquelle le compte est saisi. C’est ce que dit l’article 161 à son alinéa 4, lorsqu’il stipule, certes de manière ambiguë, que «le solde saisi n’est affecté par ces éventuelles opérations… que dans la mesure où leur résultat cumulé est négatif et supérieur aux sommes non frappées par la saisie au jour de leur règlement.» Telle est, en conclusion, la compréhension qu’il convient de donner aux dispositions de l’article 161 de l’Acte Uniforme Ohada relatif aux procédures civiles d’exécution.
Pratique bancaire de la saisie des comptes bancaires
Qu’en est-il de la pratique bancaire de la saisie des comptes bancaires ? Dans leur déclaration, les banquiers donnent le solde du compte saisi, mais en indiquant si le solde permet ou non le paiement de la créance cause de la saisie. Cette indication suppose que le solde déclaré, qu’il soit positif ou négatif, est définitivement arrêté, intégrant, le cas échéant, les opérations en cours à la date de la saisie. Les banquiers ne reviennent du reste pas sur le solde qu’ils ont déclaré au départ. Ils ne font qu’une seule déclaration, qu’ils diffèrent souvent par rapport à la date de la saisie ; et généralement, dans les cinq jours qui suivent cette date. Les banquiers bouleversent ainsi l’ordre du processus de déclaration prescrit par le législateur.
Est-ce sans conséquence ? Si le solde déclaré est positif et permet le paiement de la créance litigieuse, c’est tant mieux pour le créancier saisissant. Mais si le solde déclaré est négatif, ou alors s’il est positif et ne permet de payer que partiellement la créance litigieuse, alors, il pourrait y avoir matière à contestation. Mais contestation de quoi ? C’est tout l’embarras du créancier saisissant. En effet, le solde déclaré est susceptible de masquer des opérations passées indument sur le compte saisi. Il en serait ainsi, comme on a déjà eu l’occasion de le constater, de l’imputation sur le compte saisi du montant des engements que le banquier a souscrits sur une simple signature à l’égard des tiers au profit du débiteur poursuivi, ou, sans aucune justification, de la fusion des soldes de plusieurs comptes saisis, conduisant à un solde négatif, etc.
Dans cette foulée, l’on peut aussi imaginer la contrepassation sur le compte saisi du montant d’un effet antérieurement escompté alors qu’il n’est pas encore arrivé à échéance, ou celle du montant d’un chèque antérieurement porté au crédit du compte saisi alors qu’il n’a même pas encore été présenté à l’encaissement, notamment lorsque le délai de présentation à l’encaissement va au-delà de quinze jours… L’alinéa 5 de l’article 161 prescrit qu’en cas de diminution des sommes rendues indisponibles, le banquier «doit fournir … un relevé de toutes les opérations qui ont affecté les comptes depuis le jour de la saisie inclusivemen». La fourniture du relevé est soumise à une condition qui ne peut être réalisée que si le banquier a, au départ, déclaré le montant des sommes rendues indisponibles. Il s’agit du solde du ou des comptes saisis que le résultat de la liquidation des opérations en cours a affecté négativement. Or, le banquier n’a pas fait cette déclaration. Que peut faire le créancier saisissant pour obtenir la délivrance de ce relevé ? Le créancier saisissant ne pourra l’obtenir que dans le cadre d’une procédure de contestation. C’est dire si le créancier saisissant ne doit pas s’en tenir au solde négatif déclaré par le banquier.
Convoquons ce cas récent qui relève, somme toute, d’une situation courante pour illustrer cette situation. J’ai dit tantôt que la pratique bancaire était un labyrinthe ésotérique, inaccessible aux non-initiés. Une saisie est exécutée sur le compte d’une société pour le recouvrement d’une somme d’environ trois millions de francs. Le banquier saisi déclare ne pouvoir donner suite à la saisie parce que le compte est débiteur dans ses livres de près d’un milliard de francs. Voilà une banque qui poursuit sereinement ses relations avec une personne qui lui doit près d’un milliard de nos francs. Voilà une personne qui, sous le coup d’une dette de près d’un milliard avec un seul créancier, n’est pas en cessation de paiement. Elle a pignon sur rue et rayonne même d’activités. A l’évidence, une telle déclaration a de quoi questionner. Manifestement, cette déclaration du banquier, s’appuyant uniquement sur le fonctionnement des comptes bancaires, ne reflète pas la réalité des avoirs du débiteur poursuivi entre les mains de son banquier.
Le comble est que pendant que le banquier déclare son incapacité à donner suite à la saisie, il règle dans le même temps les chèques tirés par le débiteur sur le même compte, des fois même pour des montants supérieurs à celui de la créance dont le recouvrement est en cause. Le solde débiteur déclaré par le banquier voile et masque la solvabilité avérée du débiteur poursuivi. La question morale qu’il faut retenir dans cette histoire est qu’on laisse à la discrétion du débiteur le soin de choisir, entre ses créanciers, ceux qu’il voudrait bien payer. Une telle occurrence fait fi de l’autorité du titre exécutoire, ce qui est inacceptable.
Cette anecdote nous conduit tout droit à la problématique des ouvertures de crédit (communément appelées découvert ou facilités de caisse) dont les banquiers conviennent couramment avec leurs clients sur un compte de ces derniers. Il résulte de ces conventions une créance au profit du client, bien que le compte fonctionne en débit. Cette créance est-elle saisissable ? C’est là que se trouve la problématique. La déclaration du banquier peut-elle engager sa responsabilité? Le banquier a-t-il fait une déclaration inexacte ou incomplète en dissimulant l’existence d’une convention d’ouverture de crédit sur le compte saisi ?
(*) Huissier de justice, ancien président de la Chambre nationale des huissiers de justice.