Par Maître Abel Aman Jean Jaurès
Le régisseur de la prison ne peut recevoir un justiciable dans l’établissement pénitentiaire qu’il dirige que sur ordre du magistrat compétent. Ces ordres se traduisent par l’émission d’un mandat qui peut être de détention provisoire ou d’incarcération.
En effet, le mandat de détention provisoire est «l’ordre donné (…) au régisseur d’une prison de recevoir et de détenir l’inculpé ou l’accusé» (article 15 du Code de procédure pénale – CPP). De la même manière, le mandat d’incarcération est «l’ordre donné au régisseur d’une prison par une juridiction de jugement, de recevoir et de détenir un condamné» (art. 15 du CPP).
En revanche, le mandat d’arrêt est «l’ordre donné à un officier de police judiciaire» de rechercher un inculpé, un prévenu, un accusé ou un condamné et de le conduire devant le juge d’instruction ou la juridiction de jugement (art. 18 du CPP). Le mandat d’arrêt s’adresse donc, non pas au régisseur, mais à l’officier de police judiciaire. Il peut être décerné en cours ou en fin de procédure.
Première hypothèse : le mandat d’arrêt décerné en cours de procédure
Comme indiqué plus haut, seuls le juge d’instruction et la juridiction de jugement peuvent décerner mandat d’arrêt lorsque l’inculpé, le prévenu ou l’accusé est en fuite ou introuvable. Le mandat d’arrêt ne peut être délivré dans cette hypothèse que lorsque l’infraction visée est passible d’une peine privative de liberté (art. 18 al.2 du CPP). Deux cas de figure se présentent dès lors. Le cas du mandat d’arrêt décerné par le juge d’instruction, et celui du mandat d’arrêt décerné par la juridiction de jugement.
- Le mandat d’arrêt décerné par le juge d’instruction
C’est le cas où la procédure suivie contre la personne recherchée fait l’objet d’une information judiciaire. Le juge d’instruction peut délivrer mandat d’arrêt contre cette personne. Dans ce cas, la personne arrêtée est conduite sans délai devant le magistrat signataire du mandat. Ce dernier peut donner mainlevée du mandat d’arrêt sur-le-champ, si l’inculpé fournit l’une des garanties prévues à l’article 246 (g) du code de procédure pénale.
Dans le cas contraire, le juge d’instruction statue sur la détention. Plus concrètement, il décerne mandat de détention provisoire afin que l’inculpé soit conduit à la prison indiquée sur ce nouveau mandat. Dans les quarante-huit (48) heures de ce placement en détention, il doit être procédé à l’interrogatoire du détenu par le juge d’instruction.
- Le mandat d’arrêt décerné par la juridiction de jugement
Lorsque le prévenu ou l’accusé est en fuite, la juridiction de jugement peut décerner contre lui mandat d’arrêt, si l’infraction visée est passible d’une peine privative de liberté (Art 18 al. 2 du CPP).
A la différence du juge d’instruction qui peut statuer à tout moment, la juridiction de jugement ne peut agir en tant que telle qu’aux jours et heures prévues pour les audiences. Il convient de rappeler que la juridiction de jugement est composée du président, des membres de la collégialité, le cas échéant, et dans tous les cas, du greffier. Et puisqu’il s’agit ici de la matière pénale, le ministère public doit être présent à toutes les audiences, à peine de nullité de la décision à intervenir (Art 128 du CPP).
Il peut donc arriver que l’arrestation ordonnée par la juridiction de jugement intervienne en dehors du jour où se tiennent les audiences de la juridiction émettrice du mandat d’arrêt. Dans ce cas, la personne arrêtée est conduite devant le «président de la juridiction» concernée (Art 19 al. 1 du CPP). Il s’agit ici, non pas du président de la formation juridictionnelle, mais du président de la formation administrative de la juridiction, car, comme indiqué plus haut, le président de la formation juridictionnelle ne peut siéger qu’aux jours et heures d’audiences. Il s’agira donc, selon le cas, soit du président du TPI, soit de celui du TGI, soit du président de la cour d’appel, soit du premier président de la Cour suprême. Ainsi, bien que n’étant pas le signataire du mandat d’arrêt, le président de la juridiction à qui est présentée la personne arrêtée peut donner sur-le-champ mainlevée du mandat d’arrêt si cette personne fournit l’une des garanties prévues à l’article 246 (g) du code de procédure pénale. Dans le cas contraire, la personne est placée en détention provisoire, à charge pour la formation juridictionnelle signataire du mandat d’arrêt d’extraire le détenu pour qu’il comparaisse à la plus prochaine audience.
Deuxième hypothèse : le mandat d’arrêt décerné après la condamnation
Lorsqu’un prévenu ou un accusé en fuite ou défaillant est condamné à une peine privative de liberté non assortie de sursis ou à la peine de mort, la juridiction de jugement peut décerner contre lui mandat d’arrêt (Art 18 al. 2 et art. 426 al. 1 du CPP). La question qui peut de prime abord se poser ici est celle de savoir si la contrainte par corps est une peine privative de liberté. En d’autres termes, la personne sur laquelle pèse une condamnation pécuniaire au profit de l’Etat (amendes ou dépens) peut-elle faire l’objet d’un mandat d’arrêt si elle n’est pas présente à l’audience de délibéré ? A titre de rappel, les condamnations pécuniaires, à l’exception des dommages-intérêts, sont exécutoires sur-le-champ par consignation au greffe de la somme concernée ; à défaut de paiement immédiat, le condamné y est contraint par corps (Art 393 al. 1 du CPP ), c’est-à-dire conduite dans une maison d’arrêt.
Pour répondre à cette préoccupation, il est nécessaire de comprendre ce qu’est une peine privative de liberté. La peine privative de liberté est une peine, c’est-à-dire une punition, un châtiment, une souffrance que doit subir le condamné. Elle est décidée par le juge et doit être exécutée comme telle dans une prison (Art 551 du CPP). Le condamné à une peine privative de liberté ne peut s’en affranchir que par une juridiction supérieure à travers l’exercice des voies de recours, ou par le bénéfice d’une remise ou d’une commutation de peine. Aucune autre action du condamné ne peut l’exonérer de l’exécution d’une peine privative de liberté.
De ce qui précède, il ressort que la condamnation aux dépens et aux amendes n’est pas une peine privative de liberté ; il s’agit d’une condamnation à verser une somme d’argent dans les caisses de l’Etat. La contrainte par corps décidée par le juge n’est pas davantage une peine privative de liberté. Elle constitue une mesure de pression visant à oblige le condamné à s’acquitter de sa dette financière. Contrairement à la peine de prison, ce que le juge recherche dans la contrainte par corps ce n’est pas la privation de liberté, mais le recouvrement effectif des amendes et des dépens (cette exigence fait d’ailleurs partie de l’exposé des motifs du CPP).
Dès lors, même si la contrainte par corps est exercée, elle s’arrête automatiquement après le paiement des sommes dues à l’Etat. En dépit de l’émission d’un mandat d’incarcération aux fins d’exercice de la contrainte par corps, le condamné conserve la possibilité d’interrompre cette contrainte en s’acquittant de ses condamnations pécuniaires. La condamnation aux dépens et aux amendes ne constitue donc pas une peine privative de liberté au sens de l’article 18, alinéa 2 du code de procédure pénale. Le condamné à cette peine pécuniaire ne saurait donc faire l’objet d’un mandat d’arrêt. Seule la peine de prison répond à la définition de la peine privative de liberté.
C’est ainsi que si le tribunal prononce une peine de prison contre un prévenu ou un accusé en fuite, il décerne mandat d’arrêt contre ce dernier (Art 397 al. 1 du CPP). Ce mandat est remis à un officier de police judiciaire en vue de rechercher la personne ainsi condamnée. Une fois arrêté, le condamné doit être conduit devant la juridiction (formation juridictionnelle) émettrice du mandat d’arrêt, afin que celle-ci délivre un mandat d’incarcération en vertu duquel le condamné sera conduit en prison. Si le jour de l’arrestation ne correspond pas au jour de la tenue des audiences de la juridiction, la personne arrêtée est conduite devant le président de la juridiction (formation administrative) émettrice du mandat, qui devra décerner mandat d’incarcération en vue de la conduite du condamné en prison.
Si avant la prescription de la peine, le condamné se présente ou est conduit devant le ministère public et déclare faire opposition, celui-ci dresse procès-verbal de sa comparution et le fait conduire sans délai devant le président de la juridiction compétente, qui fixe une date d’audience au plus tard dans les sept (07) jours de l’opposition (Art 429 al. 2 du CPP ), et le fait conduire à la maison d’arrêt. Si l’audience n’a pas lieu dans ce délai, l’opposant est remis en liberté s’il présente l’une des garanties prévues à l’article 246 (g) du code de procédure pénale. Dans ce cas, dès que l’une seule de ces garanties est présentée par l’opposant, la mise en liberté n’est plus une option pour le juge, mais une obligation.
La question évidente qui se pose dès lors ici est de savoir du mandat d’incarcération ou du mandat de détention provisoire, quel est le titre qui sera émis par le président. La réponse la plus logique est celle que le président émettra un mandat de détention provisoire.
En effet, en cas d’opposition, l’exécution du jugement est suspendue et la juridiction qui a rendu le jugement par défaut est compétente pour juger à nouveau l’affaire (Art 428 al. 1 et 429 al. 1 du CPP). L’émission d’un mandat d’incarcération emporterait autorité de la chose jugée pour la décision rendue. Et dans ce cas, l’identité d’objet, de cause et de parties interdirait au juge de connaître à nouveau l’affaire. De leur côté, les autorités pénitentiaires seraient en train de classer dans le registre des condamnés définitifs (en raison du mandat d’incarcération) une personne dont la procédure en opposition est pendante. Bien plus, en cours de procédure, l’opposant est en droit de présenter une demande de mise en liberté avec ou sans caution à laquelle le juge peut souscrire ou pas, à sa discrétion. Une telle demande ne peut être introduite que par une personne en détention provisoire, et non par un condamné.
De ce qui précède, il ressort que le titre à émettre par le président à l’encontre d’une personne arrêtée qui manifeste l’intention de faire opposition, est le mandat de détention provisoire.
Si la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt est arrêtée hors du ressort territorial du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement qui a délivré le mandat, elle est conduite immédiatement devant le procureur de la République du lieu de l’arrestation, lequel informe sans délai le juge d’instruction ou le président de la juridiction ayant délivré le mandat, de l’arrestation, de ses diligences, et requiert le transfèrement de la personne arrêtée (art. 19 al. 4 du CPP).
Lorsque l’inculpé, le prévenu, l’accusé ou le condamné réside hors du territoire national et ne défère pas à la convocation de la justice, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement peut, aux fins d’extradition, décerner contre lui mandat d’arrêt si l’infraction visée est passible d’une peine privative de liberté au moins égale à six (06) mois, ou en cas de condamnation à une telle peine (art. 18 al. 3 du CPP).
En tout état de cause, l’officier de police judiciaire qui procède à l’arrestation d’une personne en vertu d’un mandat d’arrêt doit conduire la personne devant le magistrat ou la juridiction de jugement signataire dudit mandat. En dehors du cas où l’arrestation se produit hors du ressort territorial du juge d’instruction ou de la juridiction de jugement, la pratique qui consiste à conduire la personne arrêtée devant le procureur de la République, est illégale. Est également illégale la pratique qui consiste pour certains procureurs à faire conduire les personnes arrêtées à la prison par le biais de sois-transmis avec en pièce jointe la copie du mandat d’arrêt. S’il est vrai qu’il appartient au parquet de transmettre les décisions judiciaires d’arrestation et de détention aux autorités chargées de leur exécution (art. 545 al. 2 du CPP), il est aussi vrai que pour ce qui est des mandats d’arrêt, leur transmission se fait à destination des officiers de police judiciaire (art. 18 al.1 du CPP). Seuls les mandats de détention provisoire et d’incarcération sont transmis par le parquet aux autorités pénitentiaires (art. 18 al.1 du CPP).
Dès lors, l’officier de police judiciaire qui conduit une personne en prison suivant mandat d’arrêt est en train d’exécuter un ordre manifestement illégal, et engage sa propre responsabilité. Quant au régisseur qui procède à l’incarcération d’une personne sur la seule présentation d’un mandat d’arrêt ou du sois-transmis d’un mandat d’arrêt, se rend coupable de séquestration et de détention arbitraire (art. 15 et art. 25 du CPP).
Le mandat d’arrêt n’est pas un titre de détention.